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Peering, transit et économie

7 février 2011 9 commentaires
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Suite à la lecture d’un billet d’Edouard Barreiro concernant la neutralité des réseaux et plus particulièrement son approche économique, voici quelques points qui semblent manquer dans la réflexion.

D’après Edouard, le fait qu’un fournisseur d’accès (Orange, FDN, Free ..) mène, en même temps, une activité d’hébergement de contenu est préjudiciable à la libre concurrence à cause du fait que les abonnés du-dit opérateur ont un accès privilégié au contenu en question.

C’est le cas si l’opérateur en question dégrade l’accès à ses services d’hébergement depuis l’extérieur de son réseau. A supposer que des clients acceptent, à long terme, d’héberger leurs contenus sur un réseau qui ne donne pas pleine satisfaction en terme de performances, pour régler le problème, la solution serait l’utilisation d’une notion hérité de la téléphonie antédiluvienne, la Terminaison d’Appel (TA).

Le principe de base est qu’un utilisateur qui initie une connexion vers un autre sur le réseau paie son opérateur pour pouvoir l’établir, l’opérateur en question se devant donc de payer celui du destinataire pour le service de terminaison de l’appel, le trajet que l’appel aura fait sur le réseau de l’opérateur du destinataire. En téléphonie mobile, la TA est généralement fixe et se compte en minute d’appels, pas en distance.

Sur internet, c’est impossible à appliquer, la puissance nécessaire au calcul de « qui a initié quelle connexion » sur le réseau étant tout bonnement phénoménale et la variation des coûts en fonction de la distance parcourue trop grande et difficile à appréhender.

Du coup, il est question de se baser sur qui envoie quelle quantité de données à qui, en oubliant que, dans l’écrasante majorité des cas, un flux de données qui fait le trajet A->B le fait parce qu’un utilisateur de B a demandé le-dit contenu à une machine située chez A. Quelle est la légitimité, dans ce cas, d’obliger A à payer quelque chose à B ? Seule l’acceptation d’une relation commerciale bilatérale entre A et B, peut justifier un versement quelconque. Et si A et B sont filiales d’une même maison mère, je sais bien que les comptables adorent regarder le nombre de ramettes de papier qui ont été échangées, mais un peu de bon sens ne fait pas de mal.

D’autant qu’il faudrait, pour que ça marche, que tout le monde s’entende sur ce principe et que des échanges financiers transfrontaliers, voir transcontinentaux, soient mis en place, sinon, la fracture numérique, elle sera entre la France et le reste du monde.

Aujourd’hui, j’écoule gratuitement mon trafic vers et depuis Nerim et Nerim fait pareil, on se croise de temps en temps, on prend un café, et ça nous arrange bien comme ça. Mais on fait la même chose avec CAT, opérateur Thaïlandais. Demain, il faudrait qu’on s’envoie des factures et qu’on mette en place de quoi mesurer tout ça ? Au nom de la neutralité ? Sérieux ? J’adore Bangkok, mais faut pas pousser quand même. Et même si j’acceptais de me palucher 300 factures tous les mois, je suis certain que 99% de mes partenaires de peering préféreraient juste ne plus peerer.

La seconde erreur étant de considérer que, par opposition au transit qui se paie généralement à la consommation, le transport de données au sein du réseau d’un opérateur et le peering non facturé avec un opérateur voisin ne coûte rien. Et l’entretient des fibres qui constituent le réseau, c’est gratuit ? Et les routeurs servant au peering ? Et leur hébergement ? Et leur maintenance ? Pour ma part, si je fais le total, 70% du coût total de mon réseau est interne, seuls les 30% qui restent servent à payer la bande passante en transit. Ma main à couper que chez Free, c’est plutôt 90/10. Partant de là, on ne peut pas dire à un opérateur « eh non p’tit gars, ton réseau qui te coûte une couille, tu vas juste l’utiliser dans un sens et pas dans l’autre ».

Je vais encore le répéter : la clé du problème est la diversité. Si on veut faire quelque chose pour aider au développement d’internet, il faut encourager les nouvelles initiatives, certainement pas mettre des bâtons dans les roues de celles qui existent déjà.

C’est bien dommage que Dailymotion ait succombé aux avances d’Orange, mais à la limite tant mieux, si demain Orange dégrade volontairement l’accès à ce service depuis l’extérieur de son réseau, ça donnera l’opportunité à tout un tas d’autres acteurs de sortir la tête de l’eau. Et si le client de chez Orange en a marre que Youtube (ou Megaupload hein…) soit bridé, il peut résilier et aller ailleurs, il y a tout un tas de fournisseurs d’accès (dont pas mal d’associatifs) qui ne brident rien.

Nul besoin de légiférer sur un tarif minimal ou maximal imposé à l’interconnexion entre réseaux. Ce problème est uniquement symptomatique des grandes boites et il existe déjà des lois très bien faites pour lutter contre l’abus de position dominante, il suffit de les appliquer. Moi, j’ai envie de continuer à filer du transit gratuit à des gens et ça me ferait bien chier qu’une loi m’oblige à leur facturer quoi que ce soit.

En bref, il faut cesser de penser qu’internet n’est constitué que de 6 acteurs gigantesque (cf HADOPI, ARJEL & compagnie). Rien qu’en France, nous sommes des centaines d’entités avec autant de modèles économiques et sociaux différents et ce n’est pas parce que nous ne faisons pas de bruit dans les médias que nous n’existons pas.

Les seules lois qui doivent être écrites, s’il faut en écrire, sont :

  • qu’un opérateur ne peut pas, sauf motif technique valable, altérer volontairement la qualité ou le contenu d’une transmission vers ou depuis un autre réseau
  • qu’il est interdit de vendre, sous le nom d’internet, quelque chose qui ne donnerait pas accès, sans distinction faite par l’opérateur, à la totalité d’internet

Quick & Simple.

Mais il faudrait « plus simplement » éduquer la population sur ce qu’est internet. Les empêcheurs de router en rond rentreraient très vite dans le rang. Et ça, ça peut faire l’objet d’une loi également très simple : inclusion d’internet à tous les niveaux de la vie scolaire et dans toutes les matières dès l’école primaire.

[Edit] Quand j’entends « inclusion d’internet », je ne veux pas dire « créer une nouvelle discipline internet » mais bien prendre en compte les tenants & aboutissants du réseau dans l’enseignement général. Apprendre aux enfants à s’exprimer en public, leur apprendre qu’une information écrite sur le net n’est pas parole d’évangile, etc …

9 Comments »

  • Addrix said:

    C’est très bien écrit et j’adhère sur tous les points sauf le dernier qui dit qu’il faudrait commencer a enseigner ce qu’est Internet à partir de la primaire je penserait plutôt commencer vers le collège.

    Sinon je lis ton blog depuis un moment déjà et le contenu est toujours très intéressant.

  • Bruno (author) said:

    Mon idée n’est pas d’enseigner internet mais d’inclure internet à l’enseignement. Préparer les enfants à l’expression publique, à la diversité médiatique, à l’esprit critique et au recoupement systématique d’information, etc.

    Pour ce qui est de la pratique d’internet, effectivement, collège ou fin de cycle primaire plutôt, quoi que j’ai vu il y a peu une gamine de 6 ans avec un netbook dans les mains qui se baladait allègrement sur le web comme si elle avait fait ça depuis sa naissance. Heureusement qu’elle est entourée de geek chez elle, mais imagine dans une famille à qui le clavier fait peur aux parents ?

  • Addrix said:

    Ahh oui, je ne l’avais pas vu sous cet angle…
    Pour ce qui est des parents qui ont peur du clavier c’est vrai que ça pourrait poser quelques problèmes.

  • -fred- said:

    Il y a tout un travail à faire au niveau du corps enseignant aussi puisque c’est par eux que ça passe et qu’à priori, ils ne sont pas mieux préparés que les autres.

  • Matt said:

    Salut,
    C’est marrant Bruno mais tes propos : « Préparer les enfants à l’expression publique, à la diversité médiatique, à l’esprit critique et au recoupement systématique d’information, etc. »
    me font penser à un discours d’un certain patron bénévole d’un FAI associatif… ;-)

    Quoi qu’il en soit, il sont fort intéressants et je les partage également.

  • Bruno (author) said:

    Le camarade président à le discours qui tâche, c’est connu, et même omo micro n’y peut rien.

  • sebastien said:

    Question bête suite à l’intervention de M.Besson ainsi qu’un mail d’OVH qui tourne sur twitter.

    Si la totalité du peering devient payant, façons facturation de téléphonie fixe entre opérateurs (je ne sais plus comment ça s’appelle exactement). Y’aurait pas surtout le fait de créer une nouvelle ligne comptable avec un volume important, qui de fait serait taxé par l’état?

    La question peut paraitre bête, mais n’étant pas du milieu, si le peering devient payant de manière obligatoire, cela augmente t’il les différentes impositions perçue par l’état?

  • Bruno (author) said:

    Tout à fait, et aux banques aussi. Ça reste de toute façon utopique, qui sera chargé de contrôler ces interconnexions ? Une nouvelle autorité en I chargé de superviser le BGP ?

  • Matt said:

    Mais bon sang mais c’est bien sûr! La nouvelle autorité sera l’ Hadopeer …

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