Internet, et les sous dans tout ça ? (4)
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En tant qu’abonné à un fournisseur d’accès, vous payez probablement vos 30 euro mensuels. Pour vous, ce montant couvre généralement trois choses, à savoir l’accès Internet, le bouquet TV ADSL et la ligne de téléphone qui va avec. C’est un petit raccourci mais c’est vrai pour le gros des abonnés. Certains, bien sur, n’ont que deux des trois possibilités, voir, pour les puristes, qu’une seule, l’accès Internet. En réalité, votre obole mensuelle sert surtout au fournisseur d’accès à entretenir et à faire grossir son réseau et son offre de services. (l’ARPU de Free pour 2009, le revenu moyen par abonné, est de 36.5 Euro, sachant qu’ils paient la ligne dégroupée 9 Euro à France Télécom)
Je vous ai déjà parlé de l’art de se mettre d’accord entre opérateurs pour faire que le réseau existe, et on pourrait presque se croire dans le monde des bisounours tellement c’est beau et improbable.
Dans la vrai vie, c’est beaucoup moins joli. C’est vieux comme le monde, mais tout le monde tire toujours la couverture à lui (et moi le premier). Concrètement, quel est le problème ? Ce serait le minitel 2.0, ou, pour être plus clair, le fait que le trafic se concentre autour d’un nombre fini et relativement peu élevé d’acteurs et toujours dans le sens fournisseur de contenu -> abonné de FAI. Selon Alec (Alexandre Archambault, responsable des affaires réglementaires chez Free), 5 acteurs sur le marché représenteraient 75% du trafic du fournisseur d’accès (parmi eux, les très connus YouMotion et DailyTube, à moins que ce ne soit l’inverse).
Pour bien appréhender le problème, il faut descendre presque tout en bas des technologies réseau, ce sera l’objet d’un billet plus détaillé, mais en deux mots et par un raccourci que les spécialistes me pardonneront, sur Internet, il n’existe, à un instant donné, qu’un seul chemin entre un point A et un point B. Lorsque le trafic est réparti de façon homogène dans le réseau (tout le monde discute avec tout le monde), le fait d’ajouter des portes de communication entre son réseau et ceux des autres fait que le trafic se réparti plus ou moins naturellement entre ces portes.
Lorsque celui-ci n’est plus homogène (le cas qui nous intéresse avec DailyTubeMotionYou), si le réseau arrive à saturation et qu’on ajoute une porte, au pire elle ne transportera aucun trafic, n’étant pas la mieux lotie pour atteindre ces quelques destinations très prisées, et au mieux, elle sera mise en service pour l’usage quasi exclusif de ces acteurs dominants en matière de contenu, donnant au FAI l’impression qu’il engage des frais pour le seul bonheur du fournisseur de contenu.
C’est la tout le fond du problème, le modèle économique des fournisseurs d’accès (30 Euro par mois illimité avec la possibilité, pour certains, de monter a 20Mbps et plus) ne tient pas face a un usage intensif de la bande passante tel que nous le connaissons aujourd’hui. Et que fait-on quand son modèle économique se casse la gueule ? On cherche d’une part un responsable, et d’autre part un payeur (merci à Benjamin Bayart pour l’analogie avec le monde des majors). Si on peut trouver une seule et même personne pour mettre les deux casquettes c’est encore mieux.
Il y a 10 ans, Internet était un pays de bisounours qui n’était pas encore trop envahi par les multinationales-qui-ont-des-actionnaires-à-satisfaire. Le but était, à l’époque, de construire un joli réseau qui soit intellectuellement satisfaisant pour ses membres et qui nous occupe assez pour pas qu’on s’ennuie. Du coup, quand il s’agissait de tisser des liens entre opérateurs du réseau, même entre concurrents directs, ça se passait plutôt bien et on pouvait espérer, en France en tout cas, passer plus de la moitié de son trafic directement vers l’opérateur de destination (le fameux peering).
D’une part c’était gratuit (pas dans le sens ou ça ne coute rien, il y a toujours des frais matériels inhérents à une connexion réseau) mais dans le sens ou qu’importe le volume de trafic échangé, la facture ne change pas à la fin du mois, et surtout, chacun paie sa part. D’autre part, les échanges directs permettaient de s’affranchir des intermédiaires techniques qui sont autant de points de pannes et saturations potentielles qui nous empoisonnent la vie.
De mémoire (on me corrigera si je me trompe), en France, le premier à avoir changé la règle du jeu a bien sur été France Télécom et ce pour une raison purement mercantile. Ben oui, pourquoi donner gratuitement, et à des concurrents en plus, ce qu’on peut leur vendre ? En l’occurrence, France Télécom, en plus d’être fournisseur de téléphonie et d’Internet, a aussi une filiale qui vends du transit en grosse quantité a des opérateurs (OpenTransit). Mission accomplie, maintenant, quand un opérateur petit ou moyen veut avoir une bonne connectivité vers les clients Orange (et c’est quasi une obligation dans notre métier), il va acheter une porte d’accès chez OpenTransit et la paie à la consommation.
Les autres ont suivi dans cette voie, et c’est le cas un peu partout dans le monde, maintenant, si un nouvel opérateur se monte, il n’obtiendra aucun peering avec qui que ce soit (d’intéressant, s’entends, d’un point de vue technique), ou en tout cas, pas un peering gratuit. Mais si France Télécom l’a, à l’origine, fait pour gagner de l’argent, les autres fournisseurs d’accès disent aujourd’hui que c’est pour ne pas en perdre.
L’argument massue est donc « si vous voulez écouler votre trafic correctement, il faut financer notre réseau ». Vous vous doutez de l’argument contraire : « pourquoi on paierai puisque d’une part ce sont vos clients qui font venir ce trafic sur votre réseau et que d’autre part ils vous paient un abonnement pour ça ? »
Alec (le même que ci-dessus) a développé une théorie intéressante sur le blog de FDN qui est d’affirmer, en gros, que le prix payé par l’abonné permettait, avant le « web 2.0 » de financer la totalité du réseau mais que maintenant qu’on a le « web 2.0 », 30 euro ça ne suffit plus, en ajoutant à cela que le prix payé par l’abonné l’est pour du « best effort » (lire « on fait ce qu’on peut, si t’es pas content, tant pis pour toi »). On a furieusement envie de répondre « ben continuez à faire ce que vous pouvez pour ce prix la, et si certains abonnés veulent payer plus cher pour avoir mieux, laissez leur la possibilité de le faire ». Mais non, c’est interdit de toucher à la facture de l’abonné (sauf bien sur s’il s’agit de compenser les taxes qui poussent comme des champignons)
Vous me direz, puisque de toute façon les fournisseurs d’accès disent ne plus vouloir faire de peering gratuit (sauf quand ça les arrange ou que c’est pour les potes, mais chut, il n’y a pas de discrimination, ils respectent tous à la lettre les articles L.34-8, L.37-2 & D.99-11 du CPCE, puisqu’on vous le dit), et qu’il faudra de toute façon payer un fournisseur de transit pour écouler ce trafic, pourquoi ne pas l’acheter directement au FAI ? Bonne idée, mais :
- C’est entrer dans leur jeu, et franchement, c’est assez déplaisant de se faire forcer la main sur un argumentaire qu’on considère comme bidon
- On peut aussi l’acheter au même fournisseur de transit que le FAI en question, ça coutera grosso modo le même prix, mais avec la satisfaction, en plus, de savoir que le FAI aussi paiera pour recevoir le trafic en question (même si c’est une broutille dans leur comptabilité, c’est très plaisant)
- Certains se font un malin plaisir à imposer un quota minimum lorsqu’on souhaite leur acheter du trafic, pour d’obscures raisons de simplicité de gestion et de facturation. C’est par exemple le cas de Free qui ne vends pas moins d’1Gbps, soit 6000 Euro par mois tout en continuant à dire qu’il ne fait aucune discrimination dans le droit d’interconnexion pour accéder aux abonnés. SFR, pour sa part, ne réponds même pas ou alors par l’intermédiaire du service client pour les particuliers qui conseille vivement de prendre une neuf-box-de-sfr-désolé-bgp-je-ne-sais-pas-ce-que-c’est. Notez qu’on peut, par contre, tout à fait acheter 10Mbps à France Télécom si on veut.
Et puis surtout :
- Les FAI disent ouvertement que le problème vient d’une poignée de gros fournisseurs de contenu
- Ces mêmes gros fournisseurs de contenu, pour l’immense majorité, se contrefichent totalement du petit fournisseur d’accès
- Mais le FAI applique quand même sa nouvelle politique consistant à dire qu’il faut payer
- Et qui trinque ? le petit fournisseur de contenu qui, lui, finalement, ne pose aucun problème technique ou commercial au FAI mais qui devra quand même choisir entre payer très cher un peering direct ou souffrir des problèmes posés par un intermédiaire pour ne pas se ruiner
En bref, on est toujours plus petit que quelqu’un et plus gros qu’un autre, et quand on se fait taper dessus par le plus gros, on a tendance à vouloir à son tour taper sur le plus petit, absolument sans aucune raison valable, juste histoire de donner le change et de se venger de la vie.
C’est un peu comme la récréation à l’école, Internet, quoi. Sauf que des fois, à la récréation, les petits en ont marre et finissent par se grouper pour coller un pain au grand. Remarque, ça finira bien par arriver un jour sur Internet, les fournisseurs de contenu ayant le contenu captif chez eux sans aucun risque qu’il s’en aille ailleurs, ils sont avantagés par rapport au FAI qui, une fois l’engagement passé, peut perdre ses abonnés du jour au lendemain.
Dans un prochain billet, je vous parlerais de la neutralité des réseaux et de l’immigration choisie des vilains paquets transportant des contenus illégaux.
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