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Redistribuer la distribution

17 mai 2020 aucun commentaire
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Crédit : Ben GreyIl semble que les grandes remises en question et les envolées lyriques philosophico-newworldistes soient à la mode. Je me laisse même parfois prendre au jeu tellement c’est tentant et (oserais-je ? Oui, j’ose !) facile.

Il y a quelques jours, mon ami Drapher m’a remonté les bretelles, comme il aime à le faire souvent, sur mon dernier article, m’accusant de prêcher un monde totalitaire à tendance fascisante dont lui, mais probablement beaucoup d’autres, ne voudrait pas. Pas foncièrement d’accord sur tout son propos, d’autant qu’il ne s’agissait pas de proposer un modèle social global mais bien de proposer quelques alternatives pour ceux qui voudraient les mettre en pratique.Il a, quand même, soulevé quelques points interessants. L’un d’eux peut, en tout cas de ce que mon cerveau embrumé en a retenu, se résumer par « il faut se fixer des objectifs clairs et, ensuite, œuvrer collectivement, avec ceux qui partagent ces objectifs ». Des objectifs, j’en ai plein. Des objectifs clairs, c’est … moins clair :-)

Du coup, je tente quand même l’exercice sur une problématique qui m’horripile et pour lequel je pense avoir quelques idées qui peuvent servir de base de discussion pour arriver à un double objectif : lorsque c’est possible, éviter de faire se promener des denrées alimentaires ou plus généralement des produits quelconques sur des centaines de kilomètres et en profiter pour réduire la quantité d’intermédiaire qui n’ont que peu ou pas d’utilité.

Axiomes de base :

  • l’alimentation, comme beaucoup de choses en ce bas monde, est soumise aux lois du marché
  • le coût (financier, social et environnemental) du transport n’est envisagé, dans ce cadre, que comme une variable financière
  • si c’est « moins cher à produire » mais « plus cher à transporter » mais que l’addition (purement financière) des deux est ne serait-ce qu’un centime plus bas qu’une production plus cher et un transport moins cher, c’est le circuit le plus long et moins cher qui va l’emporter
  • une grande quantité de gens (en France en tout cas), affirment qu’ils préféreraient « consommer local »
  • pour autant, une encore plus grosse quantité de gens se rue toujours dans les surfaces de vente de la grande distribution ou il faut bien reconnaître que l’objectif n’est pas la consommation locale mais … la consommation
  • si c’est « plus cher » c’est « moins intéressant », mais pour autant, de plus en plus de gens se disent prêts à payer plus cher pour « manger mieux » ou « manger plus près »
  • la part de l’alimentation dans le budget des ménages est passée de 35% en 1960 à moins de 20% aujourd’hui
  • selon les sources et le type de produit, la part du prix du produit final vendu qui revient au producteur semble varier entre 8 et 20%, rapport qui semble à priori fortement injuste pour le producteur.

Repenser la distribution et la consommation

Bon, peut être pas toute la distribution (encore que), mais au moins une partie. Si on opte pour une vision industrielle, urbaine et centralisée du monde, on abouti à ces énormes plateformes logistiques (typiquement Rungis, frigo de l’Ile de France) qui se déversent ensuite dans divers centres de distribution un peu partout dans la région et alentours.

La centralisation de la logistique a tout un tas d’intérêts, mais elle a aussi un tas de défauts, notamment la fragilité du système (si la plateforme logistique centrale n’est pas disponible tout s’écroule), les longs transports et la concentration de la gouvernance de la chose (aux mains d’une poignée d’initiés).

Si on sort un peu des villes, la réalité est kafkaïenne. Ça peut prêter à sourire, mais c’est symptomatique : je discutais en début de semaine avec Karine et Odile qui viennent de lancer une micro-brasserie dans le secteur (oui, on a bu un peu aussi … avec modération ! sisi, c’est possible !). Elles cherchent à s’approvisionner au plus court mais ne peuvent souvent pas. La coopérative céréalière qui leur amène l’orge nécessaire à la fabrication n’est par exemple pas en mesure de leur indiquer la provenance car les lieux de maltage de l’orge rassemblent de nombreuses sources d’approvisionnement.

Moins anecdotique, on trouve de la bonne vieille patate en grande quantité un peu partout (un demi milliard de tonnes en surstock en France, actuellement) mais on continue à en promener par la route, le train, etc … Ok, il y a des variétés différentes, mais est-ce suffisant pour justifier tant de transport ?

Comme disait un personnage illustre : « dire qu’il suffirait que ça ne se vende pas pour que ça disparaisse ».

La grande surface c’est pratique

C’est vrai. Quand on rentre du boulot le vendredi soir, on est bien content de pouvoir ne passer que quelques dizaines de minutes à remplir un panier de provision pour vite rentrer se reposer.

N’est-il pas temps, au choix, de se laisser un peu plus le temps de vivre (et donc d’aller chiner la bonne botte de radis sur un marché ou aller ramasser soi-même des fraises chez un producteur) ? Ou, si on est un hamster qui aime sa roue et veut continuer à y courir, être un brin prévoyant et faire appel à des circuits plus locaux, pas franchement plus cher, comme les AMAP qui se sont, pour beaucoup, organisées en drive ces derniers temps ?

Oui, ça demande un peu plus de travail que juste jeter des sachets en plastique dans un caddie en plastique et payer tout ça avec un bout de plastique, mais n’en ressort-on pas un peu grandi ?

On ne se débarrassera pas de la grande distribution comme ça, mais ce n’est pas nécessairement le but. Simplement, ce qui peut être plus direct et plus humain, autant le privilégier quand on le peut. En tenant compte des contraintes de chacun, même si on pourrait avoir envie de leur rétorquer de changer leurs habitudes et modes de vie.

Connaître les possibilités

Autre avantage de la grande distribution et même des marchés, c’est qu’on a tout sous le nez. Combien d’entre-nous savent ou se fournir directement en carottes, en laits, en fromages, en boissons ? Il existe relativement peu d’outils permettant de regrouper toute cette richesse locale dans un endroit (physique ou numérique, probablement les deux) facile à consulter.

Si chaque département disposait d’un inventaire précis de ses producteurs locaux, une vague idée de leurs capacités de production, voir, rêvons un peu, d’un moyen de les faire se mettre d’accord pour optimiser la production non plus uniquement en fonction des conditions du marché mondial mais aussi (surtout ?) en fonction des besoins locaux et de leurs évolutions, on gagnerai en autonomie, non ?

Il faudrait évidemment penser à nos voisins. Organiser des cultures sur les toits terrasses de Paris qui soient suffisantes pour nourrir tous les citadins, ça semble fortement irréaliste. Mais de la même façon que l’Yonne (par exemple) est une source d’alimentation en eau de la capitale, on peut également agir comme source de nourriture (c’est déjà le cas, et une volonté récente d’intensifier la chose existe, c’est une fort bonne nouvelle !)

Organiser la distribution

Le vieux réflexe vertical consisterai à planter, dans chaque département, un gros centre logistique qui recevrait et dispatcherai la totalité de la production. Là encore, on gagne en simplicité mais on perd en réactivité, en temps de transport, en impact écologique et en diversité.

Le réflexe opposé consiste à imiter ce que fait Uber. Confier à la technologie (et à une structure centrale qui la gère) le soin d’organiser le transport : « Tiens, le fromager d’Auxerre a prévu d’aller livrer à Avalon mercredi et un maraîcher d’Avalon a des salades à faire remonter sur Auxerre, le fromager prendra les salades au retour et le maraîcher lui filera 10 balles. La structure centrale prendra sa commission d’un euro pour ses frais de gestion ».

Le diable, dans ce fonctionnement, n’est pas l’application ou la technologie mais la façon dont on s’en sert et son petit côté asservissant l’Homme, ou plutôt certains Hommes au profit d’autres.

Une manière de limiter la casse engendrée par la centralisation d’un outil (que ce soit un entrepôt centralisé avec sa flotte de livreurs ou un réseau de livraison décentralisé façon Uber), c’est de faire fabriquer et gérer l’outil par une structure coopérative qui soit pensée et pilotée par l’ensemble des maillons de la chaîne : du producteur au consommateur en passant par le livreur et les éventuels intermédiaires de transformation.

En bref : outil commun = propriété commune = structure commune. Il faut évidemment veiller à ce que la coopération fonctionne, et c’est loin d’être une mince affaire. Tout est question d’équilibre des pouvoirs, comme dans toute organisation.

Partant du principe général de l’Homme qui pilote, on peut, au gré des besoins et possibilités, voir pousser un petit entrepôt Jovinien géré par une petite entreprise ou association locale dans lequel des particuliers viennent se servir et que des producteurs viennent alimenter lors de tournées plus générales qui passent aussi par une paire de cantines scolaires. Tout ceci est suivi avec un logiciel qui est spécifiquement pensé pour ne pas devenir indispensable et n’apporter qu’un plus dans l’affaire (objectif : même sans informatique, on sait travailler et continuer la mission)

Ailleurs dans le département, on fonctionne plus comme une AMAP ou un micro-marché qui se déploie à jour et horaire fixe, tantôt avec des producteurs qui viennent, tantôt avec des gens qui s’auto-organisent pour aller chercher les produits en milieu d’après midi pour la distribution du soir. L’expérience des AMAP en la matière sera un trésor !

Une partie de la production est bien entendue écoulée directement sur les marchés ou confiée à des centrales qui vont exporter les denrées vers l’Île-de-France pour permettre aux Parisiens de survivre. Ou pas (pour les centrales hein, je ne prône pas l’affamement du Parisien !)

Laisser le choix

Histoire de ne pas se diriger vers un nouveau mur, il semble important de ne pas pratiquer une politique de terre brûlée. Si on dispose d’un bel outil commun organisant au mieux la distribution de la production, il faut se rendre à l’évidence : il ne pourra pas couvrir l’ensemble des besoins (que ce soit en terme de types de produits, de délais, de méthode de vente, …)

Chacun doit donc être en mesure de ne pas être enfermé dans ce modèle : le producteur doit pouvoir continuer à vendre, que ce soit en direct chez lui ou via des canaux de distribution plus classique. Une personne faisant de la livraison doit pouvoir prendre en charge d’autres transports de marchandises (voir de personnes) si elle le peut et le veut, etc.

Ne pas trop se casser la tête

Certaines préoccupations sont fort légitimes. Que devient le poste en caisse au supermarché si on remplace une partie de la grande distribution, poste déjà fragilisé par la numérisation monétaire et l’avènement des caisses automatiques ?

D’autres, en revanche, me semblent à écarter d’emblée, ou en tout cas veiller à ne pas leur donner trop d’importance. Je pense par exemple à quantité de normes et règlements de tous poils.

Je prendrais pour exemple la récente affaire Covid3D. Un groupe difforme de makers s’activent depuis début mars pour produire des protections de tous ordres. Premièrement pour les soignants, puis rapidement pour qui voulait. Certains sont organisés au sein de fablabs, d’autres plus isolés, bref, absence d’organisation mais buts communs et donc action commune.

On apprends qu’Heliox et Antonin ont pris la décision de stopper l’activité de mise en relation opérée par le site au motif de risques juridiques pour eux et pour les makers. On sait déjà que de gros industriels sont à la manœuvre derrière l’AFNOR ou Bercy et on se doute qu’ils voient d’un mauvais œil une bande de rigolos qui s’organisent en quelques heures sans aucune institution pour refiler gratuitement quelque chose qui se valorise 5 à 20 € sur le marché, mais plus je lis sur ce sujet, plus j’ai l’impression qu’on a été collectivement victime d’une bête opération commando d’une poignée de juristes, peut être envoyés là par les mêmes industriels, qui se sont fixé pour mission de faire peur. Peut-être ont-ils cru bien faire ? Peut-être s’est-on bêtement noyés dans un verre d’eau ?

Peut-être faut-il juste laisser tomber.

Les normes et les règlements, ça existe à la base pour une raison toute bête : s’assurer que quelqu’un qui ne sait pas et ne comprends pas l’entièreté d’un sujet puisse quand même faire ce qu’il a à faire. Tu ne sais pas reconnaître un yaourt que tu peux manger d’un yaourt que tu ne peux pas manger ? Il est obligatoire d’indiquer une date de péremption dessus (spoil : tu peux le manger, même des semaines après). Tu ne connais pas la résistance au feu de tel ou tel placo ? Ceux anti-feu doivent avoir un revêtement rouge. Quand c’est vert c’est pour limiter la porosité à l’eau. Quand c’est gris, c’est placo normal.

Avec le temps, ces normes et règlements servent aussi à empêcher des nuisibles de faire trop de mal. Des petits malins s’amusaient à marquer « Cantal 100% Cantal » sur un bout de gruyère coupé à la vache qui rit et le vendre 10% moins cher que le vrai Cantal non seulement s’en mettre plein les poches mais surtout pour péter le marché et racheter les fromagerie du Cantal à vil prix quand elles seraient au bord de la faillite ? C’est passible d’une bonne grosse amende et éventuellement de peines de prison.

Sur cette deuxième catégorie de normes et règlements, plus le temps passe, plus je suis d’avis de les envoyer paître. Quand une structure est à vocation publique, d’intérêt collectif, transparente et pensée par et pour l’ensemble des personnes qu’elle concerne, je ne vois aucune justification à l’intervention d’une épée de Damoclès extérieure d’ordinaire présente pour réguler un minimum un marché de charognards plus occupé à se faire des coups bas qu’à faire son métier.

S’il faut bien évidemment un cadre et des règles de fonctionnement interne en rapport avec le ou les métiers exercés (règles qui peuvent d’ailleurs s’inspirer très largement de ce qui existe déjà), le restant, spécifiquement l’anxiogène, devrait être éliminé par les voies naturelles. Dans le cas qui nous intéresse, il semble opportun de s’intéresser aux règles concernant le respect de la chaîne du froid, mais le respect des règles sanitaire dans la fabrication de l’alimentation, c’est le rôle du producteur, on évitera donc d’y mettre les pieds, sauf à estimer que les producteurs ont besoin d’aide pour assurer cette mission (ce qui peut devenir, de facto, une action coopérative)

Attention hein, je ne dis pas qu’il faut rejeter en bloc les règles établies ou que les juristes sont tous des gens à abattre, loin de là. Il m’arrive parfois de m’adonner à ce sport cérébral avec plaisir et même de trouver ça utile. Mais il faut … raison garder et ne pas mettre la charrue avant les bœufs.

L’organisation du travail

(C’est maintenant que vous jetez les œufs et les tomates pourries, en principe)

En voilà une famille d’inepties dont il est urgent de se défaire l’esprit et le corps : le code du travail. Comme tout règlement, il est issu d’une histoire (par ailleurs fort intéressante) avec quantité de luttes, principalement entre le patronat et les salariés. Une autre façon de voir la chose est de parler de « ceux qui ont » et de « ceux qui font ».

Le temps de travail, le temps de repos, la rémunération, le salaire différé, tout y est codifié et figé, de sorte qu’aucun autre modèle n’est possible. Je vais prendre un exemple concret dont je m’occupe depuis bientôt 5 ans : ma petite coopérative d’activité et d’emploi (CAE)

Pour ceux qui me connaissent pas le concept des CAE, il s’agit d’une entreprise de portage salarial (tu viens avec tes clients et tes factures, tu repars avec un salaire) dont les salariés portés sont les actionnaires majoritaires et donc décideurs. Ce n’est clairement pas un outil « pour tout le monde », ça demande une bonne dose d’indépendance dans son fonctionnement personnel et professionnel, mais le fait est que ça existe, que c’est utile, et que ça ne rentre pas dans beaucoup de cases. Il existe aussi des CAE qui n’ont rien de coopératif et dont le seul objectif est de réduire quelques impositions et avoir de la main d’œuvre à dispo (coopwashing).

Très concrètement, nous avons un outil informatique sur lequel chacun saisi ses éléments de facturation et, si le montant facturé (et payé) le permet, indique le montant du salaire qu’il souhaite toucher en fin de mois. On est tous salariés du régime général, on cotise à tout comme tout le monde. L’objectif premier est de mettre en commun les outils informatique et les prestations de service bancaire, paie, compta, etc.

Certains ont des revenus très variables, d’autres beaucoup plus lisses, certains travaillent 2 heures par semaine, d’autres 50. Bref, on est libres mais solidaires : une personne un peu juste sur ses montants peut faire appel aux autres pour maintenir son salaire, sorte d’autorisation de découvert interne à l’entreprise.

Étant donné que nous sommes soumis au code du travail, nos fiches de paie embarquent un certain nombre de congés payés. Mais comme chacun décide librement s’il travaille ou pas, combien il facture ou pas, et combien il se verse comme salaire ou pas, le concept même de congés payés est inutile et n’est qu’une épine dans le pied qui rajoute de la complexité inutile, puisque si on voulait en tenir compte, il faudrait que chacun prenne soin de garder un peu de sous de côté pour pouvoir payer ses propres congés. Dans les faits, nous, on les entasse, et quand la comptable crie trop fort, on les annule ou bien on ment en disant qu’on en a pris alors que ce n’est pas vrai.

Si on reviens à nos moutons, comment organiser une action de distribution coopérative ? S’il y a bien évidemment des gens à payer pour le travail fourni, il semblerait logique que la majeure partie soit du travail auto-organisé de manière volontaire (si au moins une petite partie des gens ne sont pas volontaires, ce n’est pas une coopérative). Comment concilier le besoin que peuvent avoir certains de sortir du cadre établi avec la nécessaire protection de ceux qui, plus faibles en nombre, en poids ou en connaissances juridiques se feraient abuser par ce type de système ? Comment s’assurer que le système qu’on bâti élimine ou limite fortement ce genre de cas ?

Plus avant, on peut fort bien imaginer que certains auraient envie de fournir une force de travail bénévole. Peut être très ponctuellement ou peut être pas. Comment fait-on, au sein d’une même structure, pour concilier ceux, rémunérés, qui bossent par choix, ceux, rémunérés, qui bossent par obligation, et ceux, non rémunérés, qui bossent par plaisir ? Quid de la notion de subordination ?

Le modèle économique

Difficile de passer à côté du sujet. Il semble logique que, s’agissant de transporter des choses, la base du modèle économique soit le poids et/ou la quantité. Et pourtant, est-ce si pertinent ? L’objectif est finalement de mobiliser le moins de ressources possibles pour transporter un sac de patate sur quelques kilomètres. Les coûts sont essentiellement humains et, en dehors du fait que ça prends un peu plus longtemps de charger et décharger 20 sacs plutôt que 10, le coût est sensiblement identique. Dès lors, fonctionner au poids, au nombre d’éléments transportés ou à la distance, c’est encourager à en faire toujours plus (pour rapporter plus d’argent). C’est fortement antinomique avec l’objectif premier qui est de raccourcir les distances et de globalement mieux et moins consommer.

Une façon de casser ce type de comptes d’apothicaires et de limiter les dérives est de pratiquer un prix unique, un peu à la manière de ce qu’on fait avec les abonnements internet : que tu passe ton temps à télécharger ou que tu ne lise qu’un mail tous les 36 du mois, tu paie le même prix. Le principe étant d’avoir suffisamment de gens qui participent pour assurer les frais de fonctionnement. Ça peut avoir quelques travers auxquels il faut penser.

Une autre méthode, généralement classée au chapitre « utopies » consiste à pratiquer le prix libre éclairé. C’est loin d’être utopique puisque ça se pratique un peu partout.

Le fonctionnement est simple : les bénéficiaires d’un service, réputés impliqués dans la structure qui gère ce service, choisissent eux-même le prix de la prestation qui leur est rendue (on parle ici de la distribution hein, pas de la production. Libre à un producteur de fixer des prix ou de les libérer s’il le souhaite). Afin de ne pas être aveugle (la question qui revient le plus quand on pratique le prix libre « mais c’est quoi, le prix ? », immédiatement suivi de « les gens mettent combien d’habitude ? »), ce prix libre est éclairé, dans le sens ou, à intervalle régulier (chaque semaine, chaque mois, chaque année, …) la coopérative fourni à l’ensemble de ses membres un récapitulatif financier détaillé (et vulgarisé) qui permet à chacun de juger s’il est nécessaire de payer plus cher, si on peut payer moins cher ou si le prix est juste (dans le sens « suffisant pour continuer à faire tourner l’outil »)

Ça permet aussi de s’intéresser à ce qui se passe et éventuellement de s’impliquer pour améliorer la situation. Ça permet également de se dispenser d’avoir à gérer des prix différenciés (par exemple « réduction pour les personnes à faibles revenus »)

Le prix libre éclairé a un défaut majeur : il présuppose que les gens ont envie de s’intéresser et ont le temps de le faire. C’est loin d’être gagné pour beaucoup de sujets. Une phase transitoire de « prix libre éclairé avec un minimum » pourrait être nécessaire, même si ça tord en grande partie le principe même du prix libre.

L’intermédiaire qui désintermédiait

Une fois fait le constat de la part qui revient au producteur, la première conclusion facile et qui semble évidente, c’est « il y a un tas d’intermédiaires qui prennent 90% de la valeur pour leur poche, il doit bien y avoir des parasites dans le tas qu’on peut éliminer pour rééquilibrer la situation ». La réalité est plus difficile. On trouve assez peu d’étude sur le sujet, mais il y en a une qui traîne sur les sites du ministère et qui nous apprends entre autre qu’aux États Unis, en 2008, le gros de la valeur était captée par la restauration (34%) et le commerce de détail (14%), pas tant que ça sur le transport (3.5%).

On peut imaginer que la répartition en Europe et plus spécifiquement en France est probablement sensiblement différente, mais il faut garder en tête que la situation financière difficile des agriculteurs et des éleveurs n’est pas forcément uniquement due à la grande distribution.

Il faut aussi tenir compte du fait qu’un déséquilibre dans la proportion de la valeur captée n’est pas nécessairement injuste : si la restauration ramasse 34%, elle a également des charges (en premier lieu les salaires) beaucoup plus élevées que celles d’une ferme, rapporté au poids de produit final vendu.

Partant de là, si l’objectif de raccourcir les trajets est atteint, il peut être intéressant d’essayer d’agir sur d’autres leviers pour mieux répartir la valeur produite, après avoir identifié et vérifié les défauts de répartition … S’ils existent réellement.

Conclusion

Ce sont des théories assez personnelles tirées de mon vécu et de ma façon de voir le monde et d’en rêver un autre. La chose réelle qui pourrait exister un jour sera nécessairement très différente, mais j’aurais au moins jeté là quelques idées et questions. Si d’autres y trouvent à manger et à débattre, c’est bien :-)

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