HADOPI, l’eau et le pinard
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Suite au chat organisé par La Tribune la semaine dernière, j’ai, à ma grande surprise, pu discuter directement avec Eric Walter, secrétaire général de la haute autorité, d’abord via Twitter, puis au téléphone, puis, ce matin, de visu dans son bureau pendant 3 heures. Contrairement au sujet, nous n’avons rien bu d’alcoolisé, juste un café.
Ne me considérant pas comme un blogueur influent ou un quelconque leader d’opinion, j’ai fait remarquer à l’intéressé qu’il est plutôt rare, tendance nouveau (et choquant, pas au sens péjoratif du terme) qu’un responsable d’une haute autorité de l’état prenne le temps, sur simple demande, de recevoir un citoyen lambda dans son bureau, surtout dans une phase de lancement où le travail ne doit pas manquer. Il m’a répondu que tous les avis étaient bons à prendre, surtout ceux émanant de professionnels du milieu d’Internet et que je semblais en faire parti. Flatté, j’étais.
Il m’a tout de même bien fait comprendre qu’il se permettait de passer du temps, là, maintenant, à discuter avec quelques personnes parce qu’il pensait que c’était important, mais que son bureau n’était pas non plus ouvert à la terre entière, ce qui peut aisément se comprendre. Bon, en bref, j’ai eu un coup de bol.
Même si on sent parfaitement le coté posé et réfléchi du discours d’une personne qui a longtemps baigné dans le milieu politique et qui soupèse chacune de ses phrases, le dialogue a été globalement ouvert et cordial, voir même parfois poilu sur certains sujets. Je me méfie tout de même, paranoïa aiguë oblige, me demandant si ce fin stratège n’a pas tout simplement essayé de m’embobiner, espérant que je prêche ensuite sa bonne parole sur mon blog. Si vous me trouvez changé dans mes prochains billets, merci de me prévenir d’urgence.
Le présent billet va tenter d’être impartial et neutre, un peu comme le réseau que nous voulons conserver. Exercice difficile, vous me pardonnerez donc si je me vautre comme une otarie bourrée à la bière.
J’ai retenu deux grandes missions de la haute autorité, bâton & carotte.
La première, c’est le bâton ultra médiatisé depuis des mois, la « réponse graduée », qui consiste à envoyer des emails aux gens s’adonnant au piratage d’œuvres artistiques sur internet puis à venir trancher aux ciseaux leur connexion pour leur faire passer l’envie de recommencer. Bon, en y mettant un peu les formes tout de même, le but premier étant apparemment la pédagogie, même si c’est une pédagogie à coup de règle (de cutter ?) sur les doigts.
Concrètement, même si la loi et la communication faite par HADOPI est totalement hypocrite et ne traite quasiment que des questions de « sécurisations de l’accès et de l’ordinateur », tout le monde a bien compris qu’elle visait cette très large part de la population qui consomme des contenus copiés illégalement (en plus d’acheter des disques, des DVD, d’aller au cinéma, au concert, etc… hein… faudrait pas l’oublier).
J’ai manifestement appris à Eric Walter que, de par le monde, une masse notable de gens ont téléchargé et téléchargent encore des quantités faramineuses de contenus qu’ils ne consommeront jamais (dans le sens « écouter un MP3 ou regarder un film »), juste pour les avoir, du téléchargement compulsif en somme. C’est un signe assez flagrant qu’il y a encore du boulot et des messages à faire passer, mais c’est probablement vrai aussi pour l’autre partie de ce grand débat.
Une petite préview pour les curieux, le premier email envoyé aux vilains méchants pirates sera probablement sous la forme « euhhh, il semble que quelqu’un utilise votre connexion internet pour faire des choses pas jolies jolies, ce serait bien de faire quelque chose » sans jamais exprimer d’attaque directe du type « vous piratez, c’est maaaaal ».
Question pédagogie, c’est finement joué, mais je ne suis pas sur que le message passe. Alors que pour la clope et l’alcool au volant on a le droit à de belles images bien choquantes et frontales, ici, on joue encore les jeunes vierges effarouchées.
Il semble que « faire quelque chose » est encore très flou à l’heure actuelle. Installer un logiciel de sécurisation qui n’existe pas encore ? questionner son FAI sur les moyens de renforcer la sécurité de son wifi ? des choses pas nécessairement accessibles à Madame Michu. D’un autre coté, rapporté au nombre de gens qui ont des copies illégales de contenu sur leurs ordinateurs, combien y a-t-il de cas de piratage volontaire de wifi-du-voisin pour s’adonner à du partage de fichier ? probablement très peu.
Il n’empêche que la loi est tournée comme ça et que la haute autorité devra probablement créer une hotline ou quelque chose de ce genre pour guider les internautes en détresse (même si la détresse a pour origine les frasques du fils de Mme Michu qui a soutenu mordicus à sa mère « mais non c’est pas moi, moi je vais sur RapidShare, le P2P c’est hasbeen maman ! »)
Suivra, si récidive, un second email accompagné d’un courrier recommandé, repiquant grosso modo le contenu du premier, en insistant un peu plus sur le fait qu’il faut faire quelque chose pour remédier au problème sous peine de sanction pénale, qu’il y a déjà eu un avertissement, etc.
Et pour finir, le dossier sera étudié par le CPD (l’organe de la HADOPI qui décide du sort des vilains méchants) qui, manifestement après étude d’un dossier, décidera de la transmission ou non au parquet qui lui même pourra ordonner une coupure de l’accès.
Les ayants droits se réservant bien sûr la possibilité d’attaquer quelqu’un sur le fondement des anciennes lois toujours en vigueur (300.000 euro d’amende et 3 ans de prison, rien que ça).
Ça, c’est le bâton. Voyons la carotte maintenant (ben oui, souvenez vous, on nous a dit que tout ceci était un principe d’incitation/sanction censé remettre les gens dans le droit chemin).
HADOPI, au même titre que la CNIL, l’ARCEP ou tout autre organisme d’état, est amenée à donner son avis lorsqu’on va le lui demander et peut-être même le donner sans qu’on lui demande quand elle sentira que quelque chose rentre dans son domaine de compétences. Vu de mon petit bout de lorgnette, il y a un flagrant manque de connaissance de terrain concernant Internet partout, y compris (et surtout) au niveau de l’état dans son ensemble, alors que la notion de droit d’auteur,beaucoup plus ancienne, est très bien connue, elle. Il y a donc un sacré retard à rattraper pour obtenir une balance équilibrée.
L’idée est donc de créer des groupes de travail (labs) qui vont plancher sur les sujets que le collège de la HADOPI (les grands chefs indiens) jugera opportuns de traiter pour apporter une vision éclairée et circonstanciée sur le sujet (par exemple « les pingouins, ils font ça dans l’eau ou sur la glace ? »). Les labs auront aussi une autonomie suffisante pour décider de pondre un papier sur un sujet à propos duquel personne ne leur a rien demandé (par exemple « on n’en a rien à secouer des habitudes sexuelles des pingouins, mais ici, on a un sacré problème avec Alcatel qui veut vendre du matériel pour faire de la vilaine DPI en coeur de réseau en faisant croire qu’ils sont des kikoolols »).
Un lab HADOPI, c’est quoi ? C’est un responsable du lab, expert dans le domaine dont traite le lab, qui sera rémunéré par la HADOPI, des rédacteurs qui pondront du contenu en rapport avec le sujet donné et qui seront également spécifiquement sélectionnés pour leurs compétences en rapport avec le lab concerné, des contributeurs, eux aussi sélectionnés mais de manière plus large, qui pourront, à loisir, alpaguer les rédacteurs pour leur faire préciser leurs écrits, apporter des compléments, modifications ou corrections et enfin, tout un chacun qui pourra proposer des contributions écrites (les trop poilues seront vite écartées… ou pas) aux rédacteurs. Tout ceci est censé être accessible publiquement sur une plateforme collaborative en ligne.
On regrette que ce genre d’initiative ne soit pas 100% ouverte aux contributions extérieures, un genre de wiki-hadopi.fr, mais on comprend également assez bien que les sujets vireraient immédiatement à la guerre thermonucléaire globale et que ce n’est pas le but du jeu.
Il semble donc quand même que si les mondes du logiciel libre et des attachés à la neutralité du net se mobilisent, il doit y avoir moyen de pouvoir peser un minimum dans la balance, ou, du moins, de pouvoir donner son avis ailleurs que sur des blogs.
Toujours à la rubrique carotte, la haute autorité compte manifestement inciter (comment, on ne m’a pas dit) le monde des services à la personne pour qu’il se forme à la sécurisation du poste et de l’accès chez le particulier pour aider à régler les problèmes des internautes de bonne foi. Vu de chez moi, je ne vois pas pourquoi Mme Michu, de bonne foi, devait soudain se mettre à payer un type qui va aller activer le WPA dans son routeur alors qu’il est déjà prouvé par A+B que ce protocole de sécurisation du wifi est déjà attaquable de façon simple, mais bon.
Et enfin, un lab spécifique sera dédié à l’accompagnement de l’innovation en matière de distribution de contenu (vérification de business model, conseil, carnet d’adresse…).
Nous avons également discuté de tout un tas de choses que je ne peux pas vraiment inclure dans un même billet tant les sujets abordés ont été variés. Ma position n’a pas réellement changé depuis hier soir, j’ai par contre découvert un peu plus en détail ce que devraient être, si on ne m’a pas menti, les actions de la haute autorité à l’avenir et certains point ne m’ont pas déplu (c’est pour ca que je parle d’eau dans le vin dans le sujet). « Doit faire ses preuves » comme mes profs écrivaient sur tous mes bulletins de notes au collège et au lycée.
Par contre, je pense toujours :
- que les majors sont des brontosaures incapables de se bouger pour survivre dans un monde devenu hostile à leur business.
- que le législateur n’a rien compris aux enjeux d’internet et à son fonctionnement et qu’il est un danger public pour l’ensemble de la population tant qu’il n’essaye pas de remédier à ce manque (non, ça n’a rien a voir avec le fait qu’on puisse conduire une voiture sans être mécanicien).
- que quand on ne peut pas trouver une oeuvre dans une boutique en ligne, on n’a pas nécessairement envie d’aller se bouger à la FNAC ou de commander quoi que ce soit qui arrivera peut-être 6 jours après et qu’on se dirige naturellement vers la source qui peut fournir la chose, les notions de bien ou de mal étant largement masquées par le besoin urgent d’obtenir la chose.
- qu’une quantité non négligeable de petits artistes survivent précisément grâce au piratage de leurs œuvres et que c’est donc leur faire du mal que de diaboliser un média de transport de contenu (mais on se doute bien que ça doit bien arranger les majors si les petits sont moins présents).
- que certains contenus ne devraient pas faire l’objet de poursuites, typiquement, tout ce qui est déjà passé à la TV/radio et qui a donc été fixé durablement sur support numérique par tout un tas de gens sans pour autant que ce soit légalement considéré comme de la copie illégale (ou alors qu’il faut faire sauter l’exception pour la copie privée, les graveurs DVD et tous les équipements média à disque dur).
- que les ayants droits devaient être obligés de proposer le renouvellement du support d’une œuvre au fur et à mesure de l’évolution de la technologie, au prix exact de production du nouveau support (vinyle -> cassette -> CD -> MP3 -> OGG / VHS -> DVD -> Blueray -> mkv) et que personne ne tient compte, dans les diverses enquêtes & stats, de cette énorme manne financière de doubles/triples/quadruples droits payés par une même personne pour une même œuvre.
- que taper avant de discuter n’est décidément pas la bonne façon de faire lorsqu’on souhaite arriver à un consensus, surtout après avoir pris connaissance des projets de la haute autorité en matière de réflexion/discussion.
- j’en ai encore des wagons, mais je pense que j’ai déjà dépassé la longueur du tweetblender de droite, il est donc temps d’aller au lit.
Je vais probablement y retourner dans quelques temps pour obtenir des réponses précises à certaines questions qui sont en train de virer à la légende urbaine sur le net et qu’il faudrait clarifier. Si vous en avez en tête, « faites péter par mail », comme on dit, mais évitez les troll à poils ras (ou longs), on n’est pas vendredi :)
Le dialogue n’est pas un mauvais calcul.
Le décès de Jiwa montre que les majors cherchent à contrôler voire à empêcher le téléchargement légal, sans se soucier des artistes : Jiwa payait deux fois plus que Deezer par morceau téléchargé, mais n’arrivait plus à s’acquitter du « ticket d’entrée » réclamé par chaque major, des centaines de milliers d’euros par label… Or rien ne prouve que cet argent était destiné ne serait-ce que partiellement aux artistes.
Il faut faire le ménage dans les offres légales, comprendre le pourquoi de la disparité des rémunérations d’artistes, comprendre le pourquoi des « forfaits » (si des extraits de 100 morceaux différents sont utilisés dans un épisode de super nanny, c’est parce que les chaînes ont signé un accord avec les majors… Sur le dos des artistes qui, sauf erreur, ne perçoivent rien).
Blog très intéressant, je viens de passer qq heures à lire plusieurs billets et j’ai bien envie de t’inviter à lire « Free Culture » de Lawrence Lessig (ce nom doit te dire qqch)…
On y voit que la stratégie actuelle des majors n’est même pas de rémunérer les artistes, mais bien de prendre le contrôle global de tous les objets culturels en détournant l’usage du copyright.
On apprends d’ailleurs que le copyright a été inventé à l’origine pour inventer le domaine public en limitant dans le temps les droits sur une œuvre.
Enfin, Hadopi puis ACTA semblent des chemins tout tracés pour instaurer une surveillance internet qui, comme tu le souligne, n’est pas confiée à la Justice mais plus ou moins sous-traitée à des intérêts privés. A l’heure où la revente de contenus Facebook fait réfléchir, on voit se dessiner comme une tendance…
Quand une loi ne protège pas le citoyen mais fait gagner de l’argent à des corporations privées, lire des bouquins comme La Zone du Dehors n’est pas pour remonter le moral !
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