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Qui va payer ?

26 novembre 2010 2 commentaires
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L’éternel dilemme de qui va payer pour quoi.

En présence, deux types d’acteurs qui ont impérativement besoin l’un de l’autre. Ceux qui fournissent le contenu et ceux qui l’apportent aux visiteurs.

Notez que souvent, ceux qui fournissent l’accès se mettent à faire du contenu et inversement. C’est l’art de facturer deux fois la même chose (la bande passante) à deux clients (celui qui veut accéder au réseau et celui qui veut produire du contenu)

L’internet étant conçu comme un réseau acentré, jusqu’à présent, un équilibre était maintenu, principalement du fait que le contenu était éparpillé entre tout un tas d’acteurs différents. L’augmentation des débits aidant, la majorité du trafic a peu a peu glissé de l’échange de fichiers à la transmission vidéo. Tout ceci a permis à une poignée d’acteurs de peser de plus en plus lourd dans la balance.

Du coté des fournisseurs d’accès, l’éclatement de la bulle de 2000 a inévitablement mené à des fusions et rachats pour ne plus donner, un peu partout, que  des  marchés à 3 ou 4 acteurs dont un souvent ultra dominant.

Aujourd’hui, on se retrouve donc avec un réseau qui reste ce qu’il était mais qui est handicapé par les forces en présence avec des fournisseurs d’accès qui ne peuvent, d’après eux, plus financer leurs investissements avec le seul produit de leurs ventes et de l’autre des fournisseurs de contenu qui ont toutes les peines du monde à écouler leur trafic convenablement.

Se pose donc la question de « qui va payer ? ». Et bien sûr, comme toujours avec cette question, la réponse, c’est « pas moi ». Les fournisseurs d’accès demandent de l’argent pour faire grossir leur réseau, arguant du fait que les fournisseurs de contenu n’en ont aucun à financer, ce qui est souvent faux. Les fournisseurs de contenu, eux, paient déjà la bande passante qu’ils écoulent à des opérateurs et ne voient franchement pas pourquoi ils devraient, en plus, payer les fournisseurs d’accès pour ce même service.

Le même problème s’est posé avec la téléphonie lorsque le réseau de communication a pris une dimension mondiale. Qui devait payer quoi ? La solution trouvée porte le doux nom de TA (Terminaison d’Appel) et part du principe que lorsqu’un abonné passe un coup de fil depuis Orange vers Bouygues, Orange doit reverser une partie de ce que paie l’abonné à Bouygues pour le dédommager de l’utilisation de son réseau.

Sur Internet, il n’est pas matériellement possible de distinguer qui appelle. On peut également ajouter à ça qu’une fois une communication établie, le trafic de ladite communication sera majoritairement asymétrique et pas toujours dans le même sens. Pour finir, le prix payé par l’abonné final ou par le propriétaire d’un site est généralement forfaitaire et non dépendant du nombre de visites ou de la quantité de données transmises.

De tout temps, internet a fonctionné sur le principe de l’échange mutuel. « J’ai mes clients qui paient pour utiliser mon infrastructure, tu as les tiens qui paient pour la tienne, nos équipements sont proches les uns des autres et nos clients se parlent régulièrement, si on branchait un cable entre nous ? »

Et quand les équipements ne sont pas géographiquement proches, on utilise les services d’un opérateur mondial dont le boulot est de transporter les données de Paris à Tokyo ou New York contre monnaie sonnante et trébuchante.

Puis, les fournisseurs d’accès ont grossi (ou se sont concentrés) plus vite que les fournisseurs de contenu et ont commencé à dire « ah ben oui, mais la consommation de trafic n’est pas équivalente dans les deux sens, donc tu as plus à gagner que moi dans notre échange, donc maintenant tu vas payer ». Ca a eu lieu partout. En france, c’est notre cher opérateur historique qui a commencé, rapidement suivi par les autres. Si on regarde uniquement le débit, effectivement, le fournisseur de contenu fait majoritairement du trafic sortant pendant que le fournisseur d’accès fait de l’entrant. Mais si on regarde une autre unité de mesure, par exemple le nombre de paquets par seconde, ils sont équivalents.

Il fut donc une époque où le fournisseur d’accès était roi et imposait sa loi au reste du marché en disant « si tu veux écouler convenablement ton trafic vers mes abonnés, passe à la caisse ». Maintenant, les fournisseurs de contenu aussi ont grossi, et là ou un SFR pouvait se permettre d’ignorer purement et simplement les demandes de peering parce qu’elles émanaient de petites PME de 10 salariés ne représentant pas plus de 0.1% du trafic global, maintenant, en face, c’est Google et Facebook, et si ça ne marche pas, ce sont 95% des abonnés qui vont gueuler auprès de leur hotline préférée.

On pourrait se dire que les forces sont entrain d’être renversées et que les fournisseurs de contenus vont demander aux fournisseurs d’accès de payer pour pouvoir récuperer du contenu (après tout, pourquoi pas ?), mais même pas, Google entretient une politique de peering quasi-ouverte et déploie petit à petit son réseau partout comme les fournisseurs d’accès l’ont demandé.

J’ai bien entendu un parti pris dans cette histoire, puisque ma boite fournit majoritairement du contenu et qu’aujourd’hui, 90% du trafic ne peut être écoulé de manière directe, ce qui m’agace au plus haut point. J’en arrive même parfois à des paradoxes où le trafic que nous écoulons nous est facturé par un opérateur de transit mondial qui va lui-même le refacturer au fournisseur d’accès qui se trouve être branché au même équipement que nous dans le même bâtiment.

Pendant ce temps, les beaux parleurs des fournisseurs d’accès font croire au public que les fournisseurs de contenus (Google et Facebook, donc) ne paient rien à personne pour leur trafic.

Eh bien messieurs les FAI, coupez donc vos peerings avec Google si vous ne supportez pas l’idée qu’ils écoulent gratuitement leur trafic sur votre réseau.

En tout cas, il faudra bien que les fournisseurs d’accès finissent par faire quelque chose pour sauver leur business, et pas une loi en I. Un jour viendra ou monsieur Google en aura marre et voudra arriver jusqu’au client final tout seul.

2 Comments »

  • Duncane said:

    C’est déjà le cas, aux States, M. Google commence à arriver jusqu’au client final tout seul, puisqu’ils sont fournisseur de solution FTTH (dans très peu d’endroit soit, mais ce n’est que le début).

  • stanlog said:

    Très bon papier, qui résume assez bien, je trouve, la situation actuelle. Et le client / producteur / consommateur est bloqué entre ces deux pôles que sont les FAI et « les gros » fournisseurs de contenu, juste un petit machin passif bon à payer (pas des demi-terminaisons comme le GSM, dieu soit loué, c’est techniquement quasi impossible pour le moment. Wait and see…), et qui paye et re-paye, comme pour une redevance TV…

    Entre les deux acteurs carnassiers, point de salut ? Si en fait, des types comme moi ne « consomment » pas de l’Internet pour Google ou Facebook, mais pour tout le reste ;-) De plus, côté FAI, j’attends les retours sur des initiatives comme l’essaimage de FDN, d’ici un à deux ans, pour voir émerger enfin une contre-culture face aux FAI ventripotents et tout-puissants actuels…

    Je pense que nous sommes assez nombreux à aimer et défendre le Net (avec un grand « N », pas uniquement le Web, avec un « gros Q »), pour pouvoir rappeler à nos chers créditeurs que sont nos FAI, que nous ne souhaitons pas d’une nouvelle « TV homo-cretinus sauce Web 2.0 pour les gens très biens »…

    Nous voulons « du vrai Internet », neutre et acentré, et nous ne serons prêts à payer QUE pour cela. Pas pour les autres produits packagés /markétés tous moisis qu’ils pourraient tenter de nous refourguer… Bien à vous.

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