(in)formation , wannagain
Tweet |
La semaine dernière se sont tenues deux tables rondes :
- L’une à propos de la neutralité du net à laquelle j’ai été invité
- L’autre à propos du fonctionnement d’internet à laquelle je n’ai pas été invité (vexé je suis)
Je ne vous parlerai pas de la première, je l’ai livetweeté. La seconde, par contre, m’a fait bondir, donc j’ai promis à Laure de la Raudière de faire un billet.
Pour expliquer « comment fonctionne internet », il y avait autour de la table :
- Winston Maxwell, avocat
- Giuseppe de Martino, directeur juridique de Dailymotion
- Julien Coulon, cofondateur de Cedexis, entreprise qui oeuvre dans le monitoring et les applicatifs dédiés aux CDN
Bon, on se dit que les deux premiers sont des pots de fleurs et que le dernier est le techos qui s’y connait un peu et qui va éclairer tout le monde. Eh ben raté, celui qui a dit le moins de bêtises, c’est l’avocat, talonné de près par le type de chez Dailymotion.
Mr Coulon, en revanche, a accumulé les bourdes. J’ose espérer que la majorité est issue de raccourcis empruntés pour gagner du temps (mais c’est loin d’être très à propos vu le sujet et le public) ou bien d’erreurs de transcription, mais j’en doute.
Je n’ai pas encore eu le temps de faire une belle réponse synthèse de tout ceci, mais je tenterai, promis. En attendant, je vous livre, comme d’habitude, mes commentaires de lecture « brute de pomme ». Allons-y gaiement :
Internet est moins fiable qu’on ne le croit généralement. Il n’est pas « scalable », c’est-à-dire qu’il répond difficilement à une importante montée en charge.
Ca, c’est curieux monsieur Coulon, parce que l’internet que je fabrique pour mes clients me permet de passer, chaque jour, pendant 2 heures, de 10 à 1000 visites par minute pendant une émission de radio sans que rien ne bronche. Ne confondez pas le réseau avec les serveurs qui sont au bout. On sait très bien scaler internet, il suffit de s’en donner les moyens.
Il semble que vous soyez habitué à servir ce discours de non scalabilité à vos clients pour leur faire acheter vos produits, on ne peut pas vous en blâmer, mais les gens que vous avez eus devant vous à cette table ronde ne sont pas vos clients.
On imagine le débit qu’il faudra pour offrir sur 107 cm de diagonale une image de même qualité que sur 10×10 cm…
Vous n’êtes pas sans savoir que la résolution d’une télé de 107 cm est moins élevée que celle d’un écran d’ordinateur de 50cm, et à peine plus élevée que celle d’un iPhone n’est-ce pas ? Vous n’êtes pas sans savoir que le débit nécessaire à la vidéo HD n’a rien à voir avec le débit nécessaire à l’affichage d’un site web, n’est-ce pas ? Alors ne mélangez pas tout.
Internet subit une croissance exponentielle, c’est vrai, mais ça a toujours été le cas et ça se passe plutôt bien.
Dans dix ans, ils seront deux milliards et ils regarderont en moyenne, surtout s’ils disposent de la télévision connectée, des films de deux heures, dont la qualité sera de 7,5 mégabits/seconde.
Des films qui ne transiteront absolument pas par Internet mais seront proposés en VOD directement depuis le réseau du fournisseur du client. C’est même une grosse partie de votre métier.
C’est effectivement là que les CDN peuvent oeuvrer en proposant des services gérés « à la carte », par exemple un vidéo club virtuel qui serait hébergé au sein des infrastructures du FAI pour ne pas surcharger les interconnexions réseau du FAI. C’est tout à fait faisable aujourd’hui, mais les FAI ne veulent bien entendu pas le faire, histoire de favoriser leurs propres services de VOD. C’est éventuellement ici qu’on peut parler de neutralité.
Il faut 12 minutes pour servir en local, depuis un serveur régional, un DVD qui représente 4 gigaoctets. Pour parcourir 500 ou 1 000 kilomètres de réseau, il faut plus de 2 heures ; et 20 heures si l’on change de continent, c’est-à-dire si l’on dépasse 6 000 kilomètres.
Diantre. Mr Coulon est probablement allé cherché ça dans les arcanes du fonctionnement de TCP (voir sur cette page Wikipedia). Le débit maximum d’une connexion est égale à la fenêtre TCP divisé par la latence, ce qui, pour la configuration normale (65535 octets de fenêtre TCP) et une latence transatlantique typique (100 ms), nous donne un débit de 600ko/s, de quoi faire voyager 4Go en un peu moins de 2 heures (et pas 20).
Oui, sauf que cette limitation de débit vaut pour une fenêtre TCP de 65535 octets, valeur qui peut être augmenté jusqu’a 1Go (tcp windows scale, pour les barbus en herbe) et qui le sera probablement par défaut, à l’avenir, dans tous les systèmes d’exploitation. Du coté de Microsoft, c’est déjà le cas dans Windows 7.
Reprenons, 1Go / 100ms = 10 go/s de débit, soit, théoriquement, 80Gbps. De quoi faire passer 20 DVD… par seconde.
Et encore une fois, tout ceci est fortement lié à l’emploi du protocole TCP, or on sait très bien que la vidéo on demand sur internet se satisfait bien mieux d’UDP ou d’autres protocoles dits « non connectés » qui ne souffrent pas de ces limitations de débit dus aux demandes d’acquittement régulières sur la liaison.
Un internaute connecté en fibre optique qui va chercher un contenu en Californie passera tellement de réseaux que la qualité sera nécessairement mauvaise.
Non. Si les opérateurs font bien leur métier et que les interconnexions sont bien développées, la qualité n’a aucune raison de se dégrader avec la distance. Les « internautes connectés en fibre optique » sur mon réseau touchent la majeure partie des réseaux Californiens en n’empruntant que 2.4 interconnexions en moyenne.
Là encore, Monsieur Coulon a confondu ses interlocuteurs lors de la table ronde avec des clients à qui il voudrait vendre ses solutions CDN.
Ce sont les gros opérateurs « Tier 1 », qui ne perçoivent pas d’argent. Une société comme Level (3) Communications, en déficit année après année, ne fera jamais faillite car le gouvernement américain utilise son réseau.
Gnii ? Les Tier 1 ne perçoivent pas d’argent ? Ils dépensent des milliards pour couler des câbles au fond des océans par pure bonté d’âme ? Non non, ils sont les fournisseurs de tous les autres réseaux de la planète et les facturent très cher pour ça.
Quant à Level3 « en déficit année après année », l’EBIDTA 2010 de cette société affiche 853 millions d’euro au compteur, ce qui, bien sûr, ne préjuge pas des dettes éventuellement accumulées les années précédentes mais qui montre bien que la société roule dans le bon sens et gagne de l’argent.
La réflexion doit se concentrer sur le milieu de l’internet, qu’il est toutefois difficile de cerner, puisqu’il s’agit de tout le monde et de personne…
Précisément, internet n’a pas de milieu puisque c’est un réseau acentré. Il a, tout au plus, de grosses artères fortement fréquentées.
Mme Catherine Coutelle demande ensuite, « Si rien n’est gratuit sur internet, qui assume les investissements pour la partie centrale : les fournisseurs de contenu ou l’internaute ? » et Mr Coulon de répondre « ce sont les opérateurs ». La belle affaire. Tout le monde a dû comprendre « les fournisseurs d’accès » et donc « l’internaute » alors que « les opérateurs » désignent, en vérité, la totalité des réseaux composant internet.
Laure de la Raudière précise d’ailleurs que le déploiement du réseau est payé par ses racines (les utilisateurs, qu’ils soient fournisseur ou consommateur de contenus, le principe d’internet étant que chacun peut, simultanément, être les deux) et que c’est le financement de l’interconnexion qui fait débat.
Mais le débat n’est pas de savoir qui doit payer, puisque finalement, c’est toujours l’utilisateur de la liaison finale qui paie, mais plutôt qui va prendre l’argent à qui dans les hautes sphères du réseau.
Et comme l’avenir est à la diversification, dans un futur très proche, tous les acteurs du réseau seront à la fois fournisseurs d’accès et de contenu et il n’y aura donc plus besoin de se poser la question de qui, du fournisseur d’accès ou de contenu, doit payer l’autre pour s’interconnecter.
C’est dommage de devoir en arriver la, alors que le principe d’origine fonctionne techniquement très bien (« on a des données à se refiler, on est dans le même bâtiment, on va tirer un câble entre nous, il va coûter 800 euro à installer, ça ira plus vite que de passer par bidule qui va nous prendre de l’argent tous les mois à tous les deux pour nous fournir l’équivalent du câble en question mais en moins bien »).
La consommation mensuelle d’un internaute, qui représentait en moyenne 46 kilobits/seconde en 2008, ayant doublé une première fois en 2009 et une deuxième fois en 2010, les coûts d’un ISP sur le dernier kilomètre ne cessent d’augmenter, alors que le prix de vente reste fixe. La fibre, qui permet une économie d’échelle, peut régler une partie du problème mais elle n’est pas déployée partout.
Je ne suis pas certain que 200kbps de consommation moyenne qui risquent de doubler augmente les coûts du dernier kilomètre qui sait déjà transporter sans problème 10 à 100 fois ce débit. Le problème est un peu plus loin, sur l’interconnexion entre réseaux que les gens cherchent absolument à monétiser alors que ça n’a aucun intérêt puisque c’est justement la gratuité de ces interconnexions opportunistes qui crée de la valeur pour les deux acteurs qui s’interconnectent.
Mais c’est ensuite au tour de Mr de Martino de dérailler :
Orange a toujours été notre fournisseur de peering. Nous travaillons ensemble depuis le premier jour et nous ne collaborons avec aucun autre fournisseur d’accès.
Boing boing… je remonte, je relis le sujet de la table ronde : « fonctionnement d’internet ». Voilà donc un monsieur qui vient expliquer le fonctionnement d’internet à nos élus qui prétend qu’Orange est le seul fournisseur de peering de Dailymotion et que l’entreprise ne travaille avec aucun autre FAI.
Mr de Martino ne connaît probablement donc pas la différence entre transit et peering. Il faut savoir que Dailymotion opère un réseau autonome (AS41690) au même titre qu’Orange, Level3 ou Free. Le réseau Dailymotion actuel possède, d’après ses propres déclarations auprès du RIPE, des peerings avec 221 autres réseaux, pour la plupart probablement gratuits mais 5 sont des contrats de transit avec Level3, Tiscali, Neotélécoms, Tata communications et Orange. Orange est donc loin d’être le seul et ce n’est pas un « fournisseur de peering », c’est un fournisseur de transit. « fournisseur de peering » est un contresens, on parle de « partenaire de peering ».
Quant au « depuis le premier jour », un petit tour sur notre ami REX nous apprend que le début du réseau autonome de Dailymotion se situe vraisemblablement autour du 10 mars 2007 par la création d’un lien avec l’AS3356 (level3), on repassera, question collaboration exclusive depuis le début avec Orange.
Pour finir, deux morceaux choisis :
Mr Tardy : Le modèle a changé. Jusqu’à présent, internet se diffusait en France par un réseau en fils de cuivre, que le contribuable avait financé pour des usages limités. Or les nouveaux usages, y compris ceux de l’internaute de base, vont conduire ce réseau à saturation. Il faudra donc trouver une solution, incluant un service minimum pour l’usager lambda.
Un peu plus haut, on apprend que la consommation moyenne du moment s’établit autour de 200kbps, loin de saturer le réseau cuivre. Il n’y a pas de saturation du réseau cuivre, il y a éventuellement saturation du backbone et des usages incompatibles avec les débits disponibles dans certaines zones. Le cuivre français ne va pas soudain se trouver saturé. La liaison entre Dailymotion et Orange, par contre, c’est pas sûr, et c’est pour ça qu’Orange aura tout intérêt à installer des serveurs de diffusion Dailymotion directement dans son réseau.
Mr Fasquelle : Nous parlons d’un secteur économique auquel on ne peut appliquer purement et simplement le droit de la concurrence. Le marché doit être régulé, ne serait-ce qu’en raison de l’existence des réseaux. L’exemple est comparable à celui du secteur ferroviaire.
Que savez-vous du « secteur économique » d’internet ? De l’aveu même des deux députés les plus au courant, il est affreusement difficile d’obtenir et de vérifier des chiffres probants. Vous ne pouvez pas réguler internet comme un réseau ferroviaire pour la bonne et simple raison qu’il y a, sur internet, des millions, tendance des milliards d’acteurs sur autant de liaisons toutes très diverses et avec autant d’usages très variés, pas 5 vendeurs de wagons à bestiaux qui se battent en duel sur deux rails entre Paris et Barcelone.
Noon, c’est possible de dire des âneries pareilles en restant sérieux ?
Diantre ! Le diable est dans les détails…
Juste une petite erreur de calcul : sur 80 Gbps, on fait passer un ou deux DVD par seconde, pas 20.
Ceci dit, ça laisse largement le temps d’en télécharger un en regardant le précédent. :-)
intéressant, peu importe l’expérience des différent acteurs à cette table, il y a toute une réflexion à mené sur les compétence requises, et acquise jusqu’à ce jour pour ceux qui on pris la parole.
Sinon, quel qu’un pourrait me donné le/les hashtag pour retrouvé le live tweet sur la neutralité du net ?
merci :)
Je ne tag malheureusement quasiment jamais mes tweets … sale habitude :(
Il faut revenir dans mon historique au 16/03/2011
Nickel,
merci à suivre pour ton aventure, au sein des lobby, pardon lab’
on les auras de l’intérieur :p
Juste pour info cedexis vendent pas du cdn mais du « routage dns a la perf ». C’est un peu dommage ses approx, car leur techno est sympa
Bonjour Bruno
Tout d’abord, je suis surpris par tant d’agressivité. Est-ce que le simple fait de ne pas être invité justifie un tel billet ?
J’aurais accepté ces remarques si vous aviez été présent, si vous aviez eu la délicatesse de me contacter mais surtout si vous aviez pris en compte le contexte.
L’objectif n’était pas de transformer les députés en ingénieurs systèmes et réseaux (je ne suis pas technique même si j’aime la technique). Mon objectif était de vulgariser autant que possible des points fondamentaux. C’est d’ailleurs pour cela que les députés sont restés attentifs et motivés par le sujet. Ils sont ressortis avec un peu plus de connaissance sur le fonctionnement de l’internet.
Ceci dit, un point de votre billet m’interpelle tout particulièrement et concerne mes objectifs commerciaux.
Cedexis est une start up que j’ai monté avec deux associés, dont un que vous connaissez : nous ne sommes ni un CDN, ni un opérateur, nous sommes un « aiguilleur » et nous ne revendons pas leurs services afin de rester totalement impartial. Cedexis n’est pas non plus un éditeur de contenu et c’est vraisemblablement pour ces 2 raisons que l’Assemblée Nationale a souhaité nous proposer de participer à cette conférence.
Si mes objectifs avaient été de faire un simple coup de com pour ma start up, le huis clos m’aurait fait reconsidérer son intérêt au vu de la charge de travail que génère ce type d’exercice nécessitant une certaine préparation.
Je n’ai donc aucun objectif commercial vis-à-vis des députés, soyez en certain.
Vous le savez mieux que personne, les députés sont sollicités par des lobbies de toutes parts et une fois encore je n’ai pas d’intérêt à défendre, si ce n’est comme vous, contribuer à rappeler à nos dirigeants l’importance de l’économie numérique dans notre société.
Partir du nuage représentant l’Internet jusqu’au cloud computing et la distribution en région en moins d’1 heure sans perdre l’attention de l’auditoire est un exercice délicat.
Pour conclure, je serai heureux de vous rencontrer pour discuter des méthodes que vous utilisez pour motiver nos députés à s’intéresser à ce vaste sujet et ce serait avec grand plaisir que nous pourrions sans doute travailler dans le même sens et ensemble.
Julien Coulon
Co fondateur Cedexis
Bonsoir Julien.
Le fait de ne pas avoir été invité était une simple boutade à l’intention de Laure de la Raudière, rien de plus. Ceci dit, j’aurais adoré être présent.
La vulgarisation, ça me connais un peu, j’abonde dans le courant de pensée qui consiste à dire que nos politiques ne peuvent pas être des ingénieurs en sortant des tables rondes, mais j’aime également penser qu’on ne donne pas le permis de conduire aux gens qui ne savent pas, à minima, contrôler leur niveau d’huile et changer les pneus.
Du coup, faire des raccourci pour tenir dans le temps imparti, c’est certes nécessaire, encore faut-il les faire au bon endroit, et les points que j’ai relevé dans mon billet me semble des raccourcis (ou pire, des contre-vérités) dangereux, si on considères que les personnes qui étaient présentes à cette table ronde seront amenées à prendre des décisions en les prenant pour argent comptant.
Pour ce qui est du coté commercial, ce n’était peut-être pas volontaire, mais le discours tournait quand même grosso modo toujours autour des carences des acteurs « historiques » et des avantages des nouveaux entrants (CDN, « aiguilleurs », …). Vu de l’extérieur, ça faisait très « avec ma solution de ma boite, tout ira mieux ».
Cela dit, pour coller à ton dernier paragraphe, se vendre n’est pas nécessairement une mauvaise idée, car outre le petit nombre de députés qu’il n’est nul besoin d’intéresser au sujet puisqu’ils sont déjà à fond dedans, je penses qu’il faut surtout fournir des compétences accessibles aux autres quand ils en auront besoin pour prendre des décisions.
Et la, pour le coup (non, ce n’est pas une façon de m’excuser), je préfère que ce soit toi qu’ils aillent voir plutôt que Mr Riguidel !
Au plaisir d’une bouffe, c’est moi qui rince (ça, c’est pour m’excuser :)) et on refera le monde.
Avec plaisir de refaire le monde…de l’internet devant une bonne bouffe.
Thématique : L’internet de dans 10 ans.
Tu pars sur la VOD, je pars sur la téléportation et l’impact des pertes de paquets du milieu de l’Internet ;-))
Bon rétablissement
Julien
Ah non, je pars pas sur la VOD, hors de question !
La socialisation en ligne et les objets virtuels, je préfère ! :)
Leave your response!
Dossiers
Derniers articles
Licence
Les contenus de ce blog sont, hors citations et images, sous licence Creative Common BY
Identité Ğ1
Catégories
Archives
Tags
Les autres
Mon bordel à moi
Recherches
Commentaires
Articles les plus commentés