Associer une techno et une pratique (généralement jugée illégale)
Tweet |
A l’occasion d’un échange de tweets avec Eric Bothorel et suite à ma semaine annuelle de temps libre dont je profite pour écrire un peu, voici quelques réflexions et constatations autour d’une vilaine habitude qu’ont pas mal de gens de mélanger une technologie avec ses usages (possiblement illégaux). Je me sens un peu obligé de préciser ici qu’Eric fait partie des rares députés à avoir pris le temps de se cultiver au sujet des réseaux et qu’il est donc de ceux qui, globalement, disent le moins de bêtises sur ces sujets là. Il ne s’agit donc pas de lui tailler un short, les propos qui suivent ne lui sont pas dédicacés et rebondissent plus sur l’article qu’il cite.
Je ne sais pas s’il est nécessaire de se lancer dans une prospective sur le devenir de l’IPTV tant cet avenir semble incertain, mais il est une autre techno sur laquelle nous avons à présent un peu plus de recul et ou on peut à coup presque sûr jeter deux seaux de cailloux, l’un sur ceux qui ont employé le nom de la techno pour la traîner dans la boue, l’autre sur la sphère politique qui l’a réduite à peau de chagrin.
Here comes the (in)famous peer2peer.
C’est quoi le peer2peer ? C’est la blockchain du netflix (en très gros, hein). Un bête principe technique qui permet de télécharger des fichiers en les reconstituant à partir de petits bouts éparpillés un peu partout dans le réseau. Très résilient et d’une efficacité croissante avec l’augmentation du nombre de participants.
Revenons du temps de DADVSI et des premiers bafouillements d’HADOPI (qui n’a toujours pas fini de faire caca dans ses couches). Le peer2peer est chiant, il enquiquine l’industrie du divertissement audiovisuel. Rendez-vous compte, avant, les djeunz, ils copiaient des cassettes, bon, ça allait, mais maintenant, ils copient des MP3 et même des films, 13 à la douzaine, à travers internet. Salauds d’jeunes, salaud d’Internet, salaud d’peer2peer !
Dont acte, il faut faire quelque chose. Comme il semble que ça ne fonctionne pas de pendre quelques resquilleurs en place publique, on va taper un cran au dessus. Comme il n’y a pas de fautif central, on ne peut pas le dégommer. Du coup, tout un arsenal se met en place, piloté par des gens qui n’ont jamais pris le temps de se faire convenablement expliqué les tenants et aboutissants.
Premièrement, on va taper sur les annuaires de liens, et en premier lieu, sur ceux qui mènent une activité économique avec ces liens. C’est pas forcément mal joué dans le sens ou il est probablement socialement un peu plus acceptable de taper sur un receleur que sur un consommateur.
Ensuite, on va essayer de taper sur les diffuseurs. Dans le monde du peer2peer, tu deviens diffuseur à la seconde ou tu reçoit le premiers petit bout de paquet du fichier que tu télécharge. Here comes HADOPI, dont la première version prévoyait de couper purement et simplement la connexion internet de ceux qui avaient l’outrecuidance de fournir des fichiers contrefaits (un fichier contrefait, c’est une bizarrerie incongrue en informatique : si tu as le droit de diffuser le fichier, il est normal. Si t’as pas le droit, il est contrefait. Mais c’est le même fichier hein)
Et enfin, très à la marge, on a essayer de taper à la source du problème en se demandant pourquoi diable est-ce que les gens préféraient s’approvisionner sur des services simples, fonctionnels, bien fournis, rapides et gratuits plutôt que sur des trucs partiaux, lents, mal foutus et, cerise sur le gâteau, payant. L’argument qui consistait à dire que la gratuité n’était qu’un avantage parmi d’autres n’a jamais été considéré comme recevable. Pour les élus de l’époque, le SEUL avantage du téléchargement en peer2peer, c’était qu’il était gratuit. Les gens sont des voleurs, pissétoo !
J’ai des souvenirs forts clairs de mes quelques participations au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (rien que ça) ou j’ai observé, médusé, pendant plusieurs séances de plusieurs heures chacune, une colonie de manchots-attaché-case débattre de la meilleur façon de taxer les liens hypertextes. Juste que vous vous fassiez une idée du niveau de compréhension, la question était de savoir comment piquer quelques centimes à un abonné final ou à son FAI à chaque fois qu’il cliquait sur un lien qui le menait vers une image qui était protégée par des droits d’auteurs.
En 2019, que reste-t-il de tout ça ?
HADOPI continue à envoyer des mails et des lettres recommandées avec nos impôts.
L’ensemble des dispositifs de stockage sont taxés.
Les « société de gestion collectives » siphonnent les fonds qu’elles gèrent en claquant des frais de gestion colossaux.
Les annuaires de torrent sont quasiment tous fermés et le nombre d’utilisateurs a drastiquement baissé.
Des plateformes de musique sont bien établies dans le paysage international, avec peu de diversité mais on en trouve quand même deux ou trois d’à peu près valables.
Et puis il y a Netflix.
Netflix qui accapare une part non négligeable de la production de films et de séries.
Netflix qui représente parfois plus de la moitié du trafic d’un fournisseur d’accès lambda aux heures de pointes. Tu ajoute Youtube, tu peux quasiment débrancher tout le reste de ton réseau entre 18h et 22h, personne ne le remarquera.
Est-ce qu’on a sauvé la création ? Non, il n’y a toujours que quelques milliers de gens qui tirent plus d’un SMIC par mois de leurs droits à la SACEM et plus de la moitié sont 6 pieds sous terre depuis belle lurette. Des artistes de grand talent font toujours la manche et ceux qui étaient déjà gavés comme des oies continuent à étaler du gras sur leur gras.
Par contre, on a tout pété internet. A force de dire « le P2P est illégal », les gens ont fini par le croire et l’industrie s’est formée autour d’autres technologies, bien plus centralisée et donc destructrices pour un réseau acentré. Internet n’a pas été conçu dans l’idée de diffuser (peu ou prou) la même chose à des millions de gens mais pour leur permettre d’échanger les uns avec les autres.
C’est pas bien grave, vous me direz … ça fait de la croissance : faut acheter des routeurs plus gros, des serveurs en pagaille, les faire tourner … Et tout ça, ça fait de l’emploi. Y’en a même qui disent que ça fait arriver la fibre optique plus vite. Sisi.
Ça fait aussi de la pollution, mais vu qu’on a pas sortie d’équivalent CO² pour la fabrication d’un rack 2U blindé de disques, ça n’existe pas. Et puis c’est tellement plus marrant de taper sur Greta (bonne chance à toi sur ton voilier !)
Moi, perso, je continue le peer2peer, juste pour pas casser mon outil de travail (et un peu pour faire chier, ok !)
Et le jour ou j’aurais un moyen simple (autre que d’acheter une collection de galettes en plastique) de filer des thunes aux gens qui ont participé à tel ou tel truc que j’ai apprécié, je le ferais.
Du coup, pour revenir au thread origine de cet article, associer l’IPTV à la pratique considérée comme illégale consistant à agréger tout un tas de flux pour les filer plus ou moins gratuitement aux gens, c’est coller un gros bâton dans les roues de l’ensemble des activités OTT (Over The Top : filer des boîtiers ou services supplémentaires à ceux d’un FAI). Ce serait quand même bien plus productif de réunir les grands producteurs de flux audiovisuels pour harmoniser l’accès et la distribution (légale) de leur flux ce qui permettrait l’éclosion de multiples services possiblement innovants qui dilueront d’autant ceux qui ne jouent pas le jeu. Sans préjudice, évidemment, du fait d’aller leur taper sur la gueule et d’aligner des procès.
Mais non, on assiste encore à des « ouiiinnn, Free, t’es méchant, pour la peine, je te retire TF1 ! »
Mais c’est pas grave, la TV linéaire est morte ou presque … et elle continue à creuser sa tombe. Elle en a, du courage !
Leave your response!