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Ces banques qui creusent leurs propres tombes

31 décembre 2020 un commentaire
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Crédit photo : gildas_f

[A l’occasion d’un retrait d’espèces qui, dans un univers normal, aurait pris 3 minutes, mais qui, en 2020, en a pris 75, voici quelques petites réflexions pas du tout orientées à propos de notre système monétaire et bancaire … Cet article a été en majeure partie écrit à l’été 2020 et ne sort que maintenant … procrastination quand tu nous tient]

La crise que nous vivons cette année ne fera qu’accélérer les choses, mais tout ce qui est entrain de se passer a des racines qui remontent loin, très loin.

La guerre au cash

C’est de notoriété publique, le cash, c’est maaaal. Tout comme Tor sur internet, une personne qui préfère utiliser du cash, c’est louche. C’est forcément un terroriste tueur de petits chats.

Nous assistons donc depuis plusieurs années à une chasse au cash. Tous ses usages ont été minutieusement répertoriés et nos gouvernants, main dans la main avec nos amis banquier, redoublent d’efforts pour nous proposer des solutions alternatives. Paiements sans contact, applications mobiles, cartes virtuelles.

Mais les solutions, ça ne suffit pas à faire basculer l’usage. Elles sont donc accompagnées de pressions voir d’interdictions. Effectuer une transaction de plus de 1000 € en liquide est théoriquement impossible. Tout encaissement de liquide donne lieu, à la banque, à une enquête digne d’un état des lieux de sortie d’appartement effectué par un huissier, etc.

Nos chers petits billets n’ont donc qu’un avenir assez incertain. On en trouvera peut être encore dans quelques obscurs films d’auteur dans une vingtaine d’années, mais guerre plus.

L’usager et ses problèmes

Quand j’étais petit (qu’on se rassure, ça n’a pas duré longtemps), j’ai un souvenir assez clair de files d’attente à la banque remplies de gens venus faire telle ou telle opération (un placement, l’achat d’actions boursières, une compensation de compte à découvert, le retrait d’une pension retraite ou d’un salaire en début de mois, …). A cette époque, on voyait beaucoup de billets circuler dans les banques et à leurs abords. En 2020, c’est fini. L’argument imparable pour cesser de manipuler du cash dans les agences bancaires, c’est bien évidemment la lutte contre les braquages.

Sauf à embarquer le distributeur de billet avec un énorme tank, c’est compliqué, de nos jours, de partir d’une banque avec plus de quelques euro en poche.

Même si ce sont vos euro à vous hein. Au crédit mutuel, par exemple, c’est 1500 € maximum. Si on prévient 2 jours avant il doit y avoir moyen d’avoir un peu plus, mais mon petit doigt me dit qu’au delà de 3000, ça risque d’assez mal se passer. Bon, vous me direz, la personne qui a besoin de tirer régulièrement 3000 € en liquide, elle a soit un serieux problème dans sa tête, soit des activités plus que louche. C’est probablement vrai dans 95% des cas, mais ça laisse quand même 5% … Encore qu’avec la récente crise sanitaire, les problèmes des personnes interdites bancaires vont devenir légion.

Si l’histoire s’arrêtait là, ce ne serait presque pas grave. Mais dans ce délire sécuritaire post-11 septembre, à peu près tout y est passé. Le coup de grâce est arrivé en 2007 à Bruxelles avec la directive DSP2. Encore un acronyme barbare mais avec des implications bien réelles et palpables. La plus énorme (à mon sens) est celle concernant l’authentification. Je n’irais pas vous faire une analyse des détails, mais en gros, un simple login/mot de passe ne suffit plus pour la réalisation de la majorité des opérations bancaires en ligne.

Tout bon geek qui se respecte connaît les principes de l’authentification renforcée. Une bonne authentification s’effectue à minima avec :

  • Qui on est (un login, généralement, même si en vrai ça devrait être plus que ça)
  • Ce qu’on sait (un mot de passe)
  • Ce qu’on a (en administration système ça se matérialise par diverses sortes de token qui donnent des clés uniques qui changent toutes les X secondes. Une version appli mobile de la chose existe aussi)

Mais nos amies les banques ont tiré au plus court, au plus rapide et au moins enquiquinant pour leurs clients, et ce troisième facteur d’identification, par défaut, c’est un SMS. L’ennui d’un SMS, c’est que ça coûte des sous. Oh, quelques centimes, mais multiplié par plusieurs millions de gens qui se connectent plusieurs fois par mois à leurs comptes, la note doit vite être salée. Avant d’aller plus loin, on note donc que l’usager qui a du mal avec l’informatique ou avec la téléphonie mobile, il est déjà pas à son avantage.

Mais c’est pas fini.

Les banques, voyant la note du prix des SMS gonfler, se sont donc mises au développement d’applications. Oui, utiliser un standard ouvert et éprouvé depuis des années (comme le TOTP, RFC6238), ou même juste le proposer, à côté d’une solution propriétaire, c’était trop pour eux. Chaque banque y va donc de son petit développement d’une appli qui, soit donne un code différent à chaque connexion, soit affiche une alerte sur le téléphone qui permet à l’utilisateur de valider la l’opération sur le site, soit … Bref, un beau bordel duquel les gens non équipés de smartphone sont exclus.

Et puis il y a tout le reste (les 3 points qui suivent, je les ai vu se dérouler sous mes yeux pendant que j’attendais ce matin à la banque)

Le petit vieux qui n’arrive pas à faire un virement entre son livret d’épargne et son compte courant, qui va donc à sa banque ou il tombe à chaque fois sur une personne différente à qui il doit réexpliquer, puis cette personne lui dit, la bouche en cœur « aahhh mais monsieur vous devez faire ça au distributeur ! », et le gentil monsieur de l’accueil de sortir une carte de dessous son comptoir et d’accompagner le petit vieux, de lui montrer toute l’interface du distributeur, pour finir par faire l’opération à sa place. Bilan ? 20 minutes de perdues, un petit vieux totalement flippé et déboussolé et une personne chargée de l’accueil qui a accumulé un retard monstre et qui s’est probablement passablement énervé, sans parler de l’énervement de la file de clients qui gonfle dans le hall de la banque en essayant de respecter les scotchs de distanciation collés au sol.

L’entreprise qui veut juste payer ses fournisseurs et ses salariés, toujours les mêmes, toujours pour des montants à peu près identiques, et qui, chaque mois, doit constituer un ficher SEPA, l’envoyer sur un site auquel elle se connecte avec une authentification forte, le valider avec une seconde opération d’authentification forte et … envoyer une copie d’écran de l’opération à son chargé de clientèle à la banque « parce que vous comprenez, quand ça dépasse 5000 €, c’est peut être louche, donc on attends de savoir si c’est bien vous qui avez fait l’opération pour la valider ».

L’expat de retour sur le territoire métropolitain, un peu paumée, qui vient pour faire rapatrier son compte, à qui on répond « ouuuhhh lala c’est compliqué il faut prendre un rendez-vous mais ça va pas être possible avant 15 jours et puis il faudra rendre tous vos moyens de paiement et puis votre RIB va changer mais c’est pas nous qui allons le dire aux gens qui vous prélèvent et ça sera fait dès le jour du rendez-vous et en attendant je sais pas si votre carte elle va marcher attendez je vais demander à ma collègue … »

L’essor des cryptomonnaies

Ouais, je sais, je suis un peu gonflant avec ça en ce moment, mais plus je creuse ces sujets, plus j’ai la conviction que les crypto sont une partie de la réponse aux problèmes décrits ci dessus (et à quelques autres).

Il faut cependant bien reconnaître que, pour l’instant, l’usage ultra-dominant concerne la spéculation, et que le second usage est surtout constitué de levées de fonds. Bref, ce n’est pas demain la veille qu’on pourra (partout, j’entends .. ou au moins « à beaucoup d’endroits ») payer son café au bar avec une transaction en crypto.

La dématérialisation, une histoire qui se répète encore et encore

Les éditeurs de livres en vrai papier d’arbres ricanaient. « Les gens vont jamais lire sur des écrans, ça nique les yeux, on s’en fout, on change rien ». Ceux qui ont évolué surnagent encore un peu, les autres ont coulé.

Les fabricants de vinyl ont rigolé quand la cassette est arrivée. Les fabricants de cassette ont rigolé quand le CD est arrivé. Les fabricants de CD ont rigolé quand le MP3 est arrivé. Les vendeurs de MP3 ont rigolé quand le streaming est arrivé … Et on peut refaire la même pour la vidéo, on sait comment ça se termine.

Les banques rigolaient en 2017/2018 quand le bitcoin faisait des vagues … C’est moins clair maintenant, j’ai du mal à déterminer si elles tentent l’entrisme pour essayer de péter les cryptomonnaies de l’intérieur ou si elles se préparent réellement à ce qui vient. C’est probablement un peu des deux.

Même avant, les mutations plus ou moins en lien avec la techno (cf antonop)

Un agitateur crypto, qui a le mérite d’être très pédagogue et pas mal rigolo, a fait toute une vidéo ou il rapproche les cryptomonnaies du pavage des routes et de la téléphonie. Dans ces deux cas, de nouvelles techniques sont apparues et ont fini par devenir la norme, proposer de nouveaux usages, tout en assimilant les anciens usages en les rendant plus performants :

  • Le pavage puis le goudronnage des routes, principalement fait pour permettre la circulation de l’automobile, a rendu le déplacement des chevaux moins chaotiques et a permis l’arrivée de tout un tas d’autres moyens de transports (vélo il y a longtemps, trottinettes et autres objets roulants personnels plus récemment).
  • Internet, originellement construit par dessus le réseau téléphonique (RTC puis ADSL) est entrain de finir de le phagocyter : maintenant, c’est le réseau téléphonique qui est construit au dessus d’internet.

La banque et les monnaies n’y échapperont pas. Non pas qu’il n’y aura plus d’état ou d’intermédiaires, loin de là, mais il serait aujourd’hui quasi trivial de faire tenir l’ensemble du système bancaire mondial sur une blockchain lambda avec la même qualité de service : il suffit de lancer la blockchain et de la ralentir.

Partant de là, que ce soient les banques qui dérivent d’elle même vers l’univers des crypto ou que ce soient les clients qui les y forcent, ces infrastructures numériques sont l’avenir qui nous attend … Et ce serait peut être pas con de s’y intéresser … à minima pour les comprendre et se familiariser avec leur usage.

Mais il faudra surtout se souvenir que tout ceci repose sur des réseaux faillibles, du matériel qu’on va avoir de plus en plus de mal à fabriquer et de l’énergie qu’on aura de plus en plus de mal à produire … Est-ce une si bonne idée ?

One Comment »

  • Jacques said:

    La question est:

    L’homme doit il nourrir le système (a)

    ou

    Le système doit il nourrir l’homme (b)

    pour le moment et a l’avenir c’est (a)…..

    a vous de faire que ça change

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