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(auto) censure

20 avril 2012 un commentaire
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Crédit photo : Jason Verwey

La censure est un grand, certains diront gros, mot. On peut y ranger un nombre incroyable de choses, de quelqu’un qui se dit « non, quand même, je ne vais pas dire à mamie que ses 45 minutes de conversation téléphonique hebdomadaires me saoulent » au meurtre pur et simple.

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Lorsqu’on parle d’internet et de censure en France en 2012, la première chose qui vient à l’esprit, ce sont les tentatives de blocage de sites webs. En premier lieu, et curieusement, les sites de jeu en ligne dont la disparition ne porte finalement que peu préjudice à la libre expression, puis, plus gênant, un site de copwatching qui, que l’on approuve ou pas le principe, n’est qu’un parmi plusieurs centaines, amenant donc la question « pourquoi celui-ci et pas un autre ? ».

On aurait pu se dire qu’un pouvoir en place qui parle de « la société qui protège » se serait attaqué d’abord à un sujet plus évident comme celui de la pédopornographie, et que, dans le cadre d’une action globale de lutte contre ces horreurs commises contre les enfants, la censure des contenus aurait été envisagée, mais loin d’une action globale, les contenus pédopornographiques n’ont fait que l’objet d’un entrefilet dans une loi sur la sécurité intérieure qui peine à s’appliquer tant il est impossible (et inutile, voire contreproductif) d’assurer une censure du contenu sur le réseau, surtout lorsqu’on ne veut pas étaler la liste de ce qu’on veut voir disparaitre.

Car de la même façon qu’il est impossible de casser durablement internet partout (il faut choisir l’un ou l’autre), il est impossible de censurer efficacement et discrètement à grande échelle sur le réseau.

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Crédit photo : Laurent Chemla

Hors de nos frontières, les dernières censures les plus marquantes ont eu lieu au printemps 2011, dans chaque pays qui s’est soulevé, internet a plus ou moins été coupé dans une vaine tentative d’empêcher la poursuite des mouvements qui étaient nés sur les réseaux, ou en tout cas qui y avaient trouvé une caisse de résonance. L’invariable résultat a été la poursuite des mouvements, à tel point que beaucoup de gens attendaient avec impatience les coupures du réseau dans certains pays comme signe de la « victoire ».

Ce syndrome de la victoire lorsqu’on attaque le réseau est symptomatique de toute censure violente touchant internet. Dans un registre beaucoup plus léger que le printemps arabe, on trouve le célèbre cas de Barbara Streisand, ayant donné son nom à ces tentatives de censure dont l’effet est le strict inverse de celui recherché : un contenu dérangeant une personne mais souvent futile, voire totalement inintéressant devient soudain célébrissime après que quelqu’un ait tenté de le faire disparaître par la force. En l’occurrence, une photo de la maison de la pré-citée.

Crédit photo : Edouard Hue

Une variante au doux nom d' »effet flamby » a été identifiée avec le début des révélations de wikileaks. Lorsqu’on tape sur un flamby, on en met généralement partout. Essayez, c’est assez amusant. Dans le monde des réseaux, l’information concernée est déjà connue de tous et tient déjà plus ou moins du scandale. Le fait de vouloir la censurer la fait s’éparpiller un peu partout pour contourner le risque de blocage d’une unique source centrale.

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Il est par contre possible de faire énormément de choses pour amoindrir l’impact d’un contenu, d’un principe ou d’une idéologie par des méthodes beaucoup plus douces et efficaces pouvant s’apparenter à la censure. Il suffit de s’adapter à l’univers numérique où tout n’est affaire que de copies et d’influence. Si quelqu’un dit du mal de vous, vous pouvez, au choix, essayer de le faire taire (et, 9 fois sur 10, obtenir un effet streisand ou flamby) ou bien trouver 10 personnes qui diront grand bien à votre propos, quitte à ce que vous soyez vous-même ces 10 personnes. Le résultat de la seconde méthode peut même permettre de discréditer durablement celui que vous considérez comme fauteur de trouble.

C’est l’une des techniques de base de la gestion de réputation sur internet : inonder le réseau d’avis positifs pour diluer les négatifs.

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Mais il existe plus insidieux. On touche ici à la censure que je qualifierai de systémique. Elle n’est pas issue de la volonté propre d’une personne ou d’un groupe défini mais d’habitudes profondément ancrées.

Par exemple, les licences libres nées avec le logiciel et l’informatique ne sont pas encore entrées dans les habitudes de tous. L’effet de bord de de cette méconnaissance est parfois assez amusant : « on n’utilise pas d’image diffusée en creative commons parce qu’on n’a aucun moyen de vérifier si l’expéditeur est réellement le détenteur des droits. On préfère utiliser une banque d’image à 400€ la photo, au moins on est sûrs de la provenance »… Alors qu’il est de notoriété publique que le simple fait de payer n’assure absolument rien du tout concernant le bon traitement des droits, c’est même l’axe principal de communication d’hadopi concernant la musique et le cinéma pour tordre le cou à cette idée préconçue : « ce n’est pas parce que c’est payant que c’est légal ». Tout au plus, le fait de payer permet de se décharger sur quelqu’un et d’affirmer « C’est lui ! C’est sa faute ! ».

Le pire étant d’ailleurs que les personnes qui appliquent ce principe de précaution n’ont parfois aucune conscience des forces à l’oeuvre et des freins à l’innovation que cela impose. Une sorte de censure d’un nouveau mode de fonctionnement qui, comme tout ce qui est nouveau, dérange ou, à minima, fait peur.

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Crédit photo : liako

Enfin, la censure la plus pernicieuse, mais aussi celle sur laquelle on a le plus de pouvoir théorique, est celle qu’on s’impose à soi-même.

Ne pas donner son avis lors d’un repas entre amis ou en famille ne porte généralement qu’à peu de conséquence, et est parfois nécessaire pour pouvoir finir de manger sans se jeter les assiettes au visage.

Mais les causes et conséquences sont tout autres lorsqu’on tait quelque chose par intérêt, par peur ou par conviction. C’est toute la subtilité de nos sociétés dites démocratiques dans lesquelles le contrôle de l’expression n’est plus dans les mains du pouvoir mais dilué dans l’esprit de chacun. Une sorte de censure peer2peer.

Pour autant, ce n’est pas la population dans son ensemble qui a décidé de se l’imposer. Beaucoup de jalons sont posés depuis de longues années pour que tous continuent à s’autocensurer. De la hiérarchie dans l’entreprise au bon vieux fusil mitrailleur en passant par le devoir de réserve des fonctionnaires, tout est fait pour que, l’air de rien, les écarts de libre expression ne soient pas trop grands ou puissent être jugulés rapidement, prétendûment pour le bien général.

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Le présent article aurait du être publié dans le cadre d’un recueil de textes à propos de la censure mais les responsables de cette publication ont finalement jugé que le sujet n’était pas opportun compte tenu de l’actualité politique, m’obligeant à me rabattre sur mon petit blog provincial… Tant pis… Il a tout de même fait l’objet d’une manifeste auto-censure. Saurez-vous deviner où ?

« Dès lors les techniques se perfectionnent
La carte à puce remplace le Remington »
MC Solaar – Nouveau western

One Comment »

  • syn,ack said:

    « Lorsqu’on tape sur un flamby, on en met généralement partout. Essayez, c’est assez amusant »

    J’te crois sur parole :D

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