Anonyme et Pseudonyme sont sur un bateau
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Un récent billet de l’ami Eolas m’a fait remonter à l’esprit divers débats que j’ai pu avoir à propos de l’anonymat sur internet. J’en avais d’ailleurs déjà parlé par ici et par là.
Il a trouvé une façon que je trouve plutôt bonne d’exprimer le fond de l’histoire :
D’ailleurs, quand je suis cité dans les médias, c’est sous ce nom, et à ma demande quand on me laisse le choix. En effet, si des journalistes me contactent pour avoir un éclairage ou une opinion sur une question juridique, c’est parce que je suis Eolas, avocat et blogueur, non parce que je suis un avocat au barreau de Paris parmi 20.000 autres. C’est ce blog, et son succès depuis 7 ans et demi que je l’ai ouvert, qui me donne ma légitimité. Au demeurant, si je devais m’exprimer sous mon vrai nom, le lecteur ou auditeur se dirait “mais qui c’est ce type, pourquoi est-il consulté sur cette question ?” Car la vérité est terrible pour moi : c’est sous mon vrai nom que je suis anonyme…
Maintenant que le décor est posé, je vous invite à relire la conscience d’un hacker (ou bien la vo) et particulièrement le passage suivant :
Mon crime est celui de juger les gens par ce qu’ils pensent et disent, pas selon leur apparence.
Car voilà la triste vérité. Bien souvent, même inconsciemment, vouloir à tout prix connaitre l’identité civile d’une personne n’a qu’un but : pouvoir le juger sur le nom, le passé, le milieu social, les études, l’emploi ou pire.
Dans le cas typique de l’expertise d’une personne qui tient un blog, il suffit de maîtriser un minimum l’outil internet pour déterminer si la personne derrière le pseudonyme attire la sympathie et la reconnaissance de ses pairs et/ou de la communauté ou non. Dans le cas cité plus haut, on peut valablement supposer que le journaliste a fait son travail avant d’interroger un blogueur et que les propos rapportés ont donc une valeur notable.
Nul besoin de savoir s’il a fait des études dans cette spécialité, s’il est brillant ou s’il est typé asiatique. A l’extrême limite, on peut vouloir connaitre les activités professionnelles de la personne, mais guère plus.
Je n’ai, ceci dit, aucune animosité envers les partisans de l’identité civile. D’ailleurs, la mienne est relativement simple à trouver si on veut bien s’en donner la peine. Je ne la cache plus parce que mon avenir personnel et professionnel ne peut qu’assez peu pâtir d’une fracassante révélation de ce genre.
A quoi bon la connaître, de toute façon ? Internet permet d’entrer en contact même avec les anonymes les plus acharnés, les frontières entre pseudos et identités civiles sont de plus en plus ténues, et puis finalement, pourquoi n’admettrions-nous pas qu’une personne a le droit, si elle le souhaite, d’utiliser une identité qu’elle s’est choisie plutôt que celle choisie par ses parents et qu’il n’est pas nécessaire d’être écrivain ou journaliste à scandale pour s’en prévaloir ?
Tout ceci est une conception de la relation à l’autre datant du siècle dernier. Cela ne veut pas dire qu’elle n’a plus de jeunes adeptes ni même qu’elle est démodée ou mauvaise, simplement que pas mal de gens nés après 1970 ne voient pas vraiment l’intérêt qu’il peut y avoir à « connaitre l’identité » de quelqu’un. Il est (ne riez pas) plus révélateur de savoir quelle bière la personne boit, sa vision à propos de la neutralité ou sa plage bretonne préférée.
Pour le reste, une chaîne de caractère à peu près prononçable et, si possible, assez unique pour être certain que personne ne confonde, c’est suffisant pour savoir de qui on parle.
Moi, c’est Spyou. Ça aurai pu être Cécile Foranier (tromperie sur la marchandise mais crédibilité civile excellente), mais non.
Après, je ne connais pas le cas précis de Maitre Eolas, mais pour ma part, ce pseudo est un mélange de mes choix et de ceux de mes amis de l’époque. Je l’utilise depuis plus de 20 ans, donc depuis un âge où l’on ne se pose pas vraiment la question de savoir s’il est opportun d’utiliser son identité civile ou un pseudo, à une époque où l’internet était un concept vaguement déployé à quelques rares endroits. A l’époque, sur les réseaux, c’était juste une évidence de ne pas taper son nom et son prénom. C’était mal vu, c’était moralement réprouvé et bon nombre de bases de données utilisateur ne comprenait qu’un seul et unique champ où certains entraient leur prénom pendant que d’autres laissaient aller leur créativité.
Les temps changent, et de grands penseurs modernes tergiversent sur l’impact de l’utilisation massive de pseudonymes sur internet en plus de causer du sexe des anges, mais franchement, c’est un choix personnel, c’est du même niveau que décider de porter un jean, un short ou un costard.
Et s’il n’y avait pas eu hadopi, où je suis manifestement seul à en utiliser un, mon identité civile ne serait encore que vaguement utilisée par ma famille, une petite moitié de mes clients et 2/3 exceptions.
Il est d’ailleurs assez amusant de voir comme certains me créent une nouvelle identité à cause du nom du présent blog. Je n’ai jamais demandé qu’on l’utilise comme tel, pourtant, de plus en plus de gens m’appellent Turblog.
Va comprendre, Charles.
On est vraiment obligé d’aimer les plages bretonnes pour être crédible ? :-)
Si tu n’en aime pas déjà une, c’est que tu n’a pas trouvé celle qui te va. Cherche encore, elle existe ! :)
La Bretagne, ça vous gagne !
(Ah merde non, je me suis planté de slogan…)
Moi aussi on m’appelle sous d’autres pseudos, soit celui de mon blog, soit cyberbaloo qui est plus féminise et court.
Mon choix au départ était d’être anonyme il y a 10 ans, ce qui est plus difficile aujourd’hui car j’ai dit que j’etais une fille, et surtout l’affirme plus mon handicap par rapport a avant.
Parfois, C est libérateur de ne plus Etre anonyme, mais ça demande des attentions qu’on avait pas avant.
Complique… Je pense que le succès d’Internet y est pour quelque chose.
Et donc Turblog sur Twitter c’est pour nous embrouiller ?
Non, c’est parce que mon homonyme expat anglais avait déjà pécho @spyou :)
Si quand on est né après 1970, on n’a pas une plage bretonne préférée, c’est qu’on a raté sa vie !
Plus sérieusement, la question de BRP était aussi valable : c’est celle de l’identité dans l’espace public (lieu de délibération), qu’on a souvent tendance à réduire à la blogosphère. Ce que fait la journaliste de l’Express (ce « tabloïd ») en se contentant de dire que Me Eolas est « avocat blogueur ». Ce qualificatif lui suffit à légitimer sa parole, sans se situer dans la démarche du respect de l’anonymat des sources. Le problème se situe donc plus du côté des journalistes (est-ce pour ça que BRP n’en parle pas ?)
Au-delà de ça, c’est la question de la certification d’identité dans un espace public à infrastructure médiatique : dans la médiation qu’opère le journaliste, peut-on le considérer comme un tiers de confiance et se fier à l’expertise qu’il accorde à sa source ? Si c’est le cas, alors le pseudonymat est possible (en ligne ou non). Si sa pratique est peu fiable (voire le raccourci dans la présentation de Me Eolas), alors c’est l’identité civile qui l’emporte.
Tu touche le point crucial de l’histoire et de l’avenir du journalisme en général : la confiance.
Quelle confiance est-ce que je porte au journal Tartempion ? Quelle confiance dans le journaliste Bidule qui écrit dans Tartempion ? Tout ceci est une relation qui se bâti dans le temps. On va faire confiance à tel canard parce qu’on l’a lu plusieurs fois et qu’on a adhéré à ce qui y était écrit et/ou que ça s’est vérifié. A plusieurs reprises.
Dès lors, on fait confiance à ce qu’un journaliste (ou plus généralement un journal entier) raconte. C’est un comportement issu de la verticalisation et de la sélection « naturelle » des sources d’information, sélection dictée par la rareté du média utilisé pour transmettre (papier/ondes hertziennes/…)
Maintenant que nous n’avons plus de rareté sur le support, deux choix s’offrent au « consommateur d’information » (les deux pouvant être menées de front) : continuer, comme avant, à accorder sa confiance à un nombre réduit de média qui vont faire le travail de sélection, de recherche, d’analyse et de présentation de l’info ou bien collecter l’information brute auprès de Y sources (Y étant fortement plus élevé que X)
C’était déjà faisable avant, mais le prix à payer (en temps et en argent) était considérablement plus élevé.
Du coup, une personne qui aura lu ce que raconte Maitre Eolas sur son blog ne viendra pas se poser la question de l’identité civile du personnage (BRP le dit lui-même, il est fidèle lecteur et apprécie la qualité du contenu) puisque seul compte l’identité (connue de tous) à laquelle l’expertise est rattachée.
Si demain un journaliste utilise mon avis sur, mettons, le cadre juridique de la manipulation des cellules souches humaines, en disant « d’après Spyou, auteur de Turblog, les cellules blah blah … », soit les gens auront déjà depuis un moment remarqué que ce « journaliste » n’en était pas un, soit ils auront déjà le réflexe d’aller voir qui est ce Spyou et de constater, même sans être spécialiste, qu’on dirait que je cause plutôt d’internet et de réseaux que de biologie et qu’il semble donc y avoir baleine sous gravillons.
Il est de toute façon plus que jamais nécessaire que les gens se rendent compte que lorsqu’ils ingurgitent une information et qu’elle leur semble importante, il convient d’aller la vérifier au risque de se faire copieusement manipuler.
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